On va dans les villes d’eaux parce qu’on est malade ou parce que c’est la mode. Par nécessité ou par goût. Mais, note Federica Tamarozzi, "dans un cas comme dans l’autre le lieu de cure offre au curiste un moment hors du temps et des règles de vie communautaire".
À regarder de près les villes thermales, une fois passé le cadre restreint des lieux d’eaux et de bains, on s’aperçoit que le manger y joue un rôle fondamental : non seulement l’alimentation est au centre des préoccupations des médecins et des désirs des curistes, mais les métiers de bouche et d’hôtellerie en constituent l’une des activités "tentatrices" principales.
Baignade et gastronomie
Le repas est un moment essentiel de la cure : "prendre les eaux, c’est aussi se laisser aller à la gourmandise", ce que Federica Tamarozzi traduit par : "eau thermale et nourriture sont les seuls éléments qui franchissent la frontière ultime du corps".
À l’heure des repas, elle perçoit même entre personnel soignant et personnel hôtelier un enchevêtrement de ruses et d’astuces, de complicités et de responsabilités qui l’amène à s’interroger sur la manière dont les touristes-curistes établissent leur relation avec la nourriture, individuellement, et collectivement aussi dans la mesure où le contexte social les prend en charge.
Cure et tourisme : pour l’ethnologue, les deux attitudes partent du même principe, à savoir que "l’eau est puissante pour les soins de santé et tellement puissante qu’elle affranchit le curiste de tous les handicaps". C’est le moment de sa vie où il se sent en pleine forme. Alors, pourquoi se priver des plaisirs, alimentaires ou autres ?
Le Bon et le Beau
Voyez Salsomaggiore, au cœur de l’Émilie-Romagne. Elle fait partie de ces lieux qui ont construit leur essor et leur notoriété sur la pratique thermale. Mais là, particularité, on prétend cultiver à la fois le Bon et le Beau, la santé et le charme.
On ne s’étonnera pas que cette ville de grandes traditions culinaires locales, de la charcuterie à la pâtisserie, ait hébergé l’une des premières écoles hôtelières italiennes.
Mais Salsomaggiore est aussi une cité toute dédiée à la femme. Sans doute parce que les gynécologues ont reconnu très tôt les vertus curatives de ses eaux, les femmes s’y rendaient nombreuses. Et les hommes célibataires aussi, en quête de l’âme sœur. L’industrie et le commerce des soins et des produits de beauté y sont florissants. Et, quoi de plus normal ?, c’est donc là qu’a lieu chaque année l’élection de Miss Italia !
Villes sans frontières
La morale de l’histoire ? C’est que, selon Federica Tamarozzi, les villes d’eaux, où l’on se rend avec le sentiment d’un retour chez soi, savent jouer en même temps la carte de la tradition et celle de l’innovation : "elles n’ont jamais cessé d’évoluer, elles ont toujours réussi à répondre aux attentes du moment, elles ont un avenir certain".
Mais, et surtout, elles ont d’abord une forte capacité d’effacer les frontières : "la frontière culturelle entre ce qui fait du bien et du mal, entre le goût et le dégoût, devient beaucoup plus floue et c’est dans cette ambiguïté que le thermalisme puise son efficacité et prête le flanc à toutes les critiques". (bw)
Federica Tamarozzi
Musée national des arts et traditions populaires, Paris
"Manger dans les villes d’eau : excès alimentaire et prescriptions médicales, les disputes entre curistes et personnels soignants"