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20 mars 2022.

Les eaux souterraines : gros plan sur une ressource invisible

Journée mondiale de l’eau 2022 - DOSSIER (1)


DOSSIER. La Journée mondiale de l’eau, célébrée le 22 mars, avait pour thème cette année les eaux souterraines. Les messages-clés qu’elle entendait faire passer tiennent en quelques phrases :

* Les eaux souterraines sont invisibles, mais leur influence se voit partout : comme on ne peut gérer correctement ce que l’on ne mesure pas, il est impératif de mieux connaître les aquifères et leur fonctionnement.

* Les eaux souterraines sont indispensables aux écosystèmes aquatiques et servent à l’approvisionnement en eau potable, à l’assainissement, à l’agriculture, à l’industrie et à d’innombrables activités humaines qui en sens inverse ne sont pas sans effet sur leur quantité et leur qualité : cette ressource primordiale doit donc être efficacement protégée et gérée durablement.

* Les eaux souterraines ne connaissent pas de frontières et nombre d’aquifères sont partagés par différents États : d’où l’importance de prévenir de possibles conflits d’usage et de promouvoir la meilleure coopération possible entre les utilisateurs de part et d’autre des limites nationales.

* Même si c’est de façon plus lente que les eaux de surface, les eaux souterraines sont impactées elles aussi par le réchauffement de la planète : l’adaptation aux changements climatiques postule une meilleure régulation de la demande en eau souterraine et une gestion appropriée des aquifères.

Les eaux souterraines qui proviennent de l’infiltration d’eaux de pluie, de fonte ou de ruissellement s’accumulent dans les matériaux poreux du sous-sol et dans les fissures des roches. Quand elles rencontrent une couche imperméable, elles constituent des réserves souterraines de volumes variables et continuent de circuler dans le sous-sol avant de trouver un exutoire et d’alimenter une source ou un cours d’eau. Grâce à des puits ou des installations de pompage, il est possible de les prélever pour divers usages agricoles, industriels ou domestiques.

Pourquoi se préoccuper des eaux souterraines ?

 Parce que sans elles, la vie serait impossible sur la planète : la presque totalité des réserves d’eau douce à l’état liquide se trouve en effet dans le sous-sol. La plupart des zones arides sont entièrement tributaires des aquifères et la moitié de la population mondiale en dépend pour son approvisionnement en eau potable. Les eaux souterraines sont indispensables à toutes sortes d’activités humaines et au bon fonctionnement des écosystèmes naturels.

 Parce qu’elles sont surexploitées dans bon nombre de régions du globe : si dans les nappes souterraines on prélève de l’eau en permanence sans se soucier qu’elles soient régulièrement réalimentées par les précipitations, ces réserves finiront par s’épuiser avec toutes les conséquences économiques et sociales que le stress hydrique peut générer. La surexploitation des aquifères peut également entraîner un affaissement des terres et des intrusions salines dans le sous-sol des zones littorales.

 Parce que leur qualité est de plus en plus menacée par des contaminations et pollutions en tous genres : la croissance démographique, l’urbanisation, l’agriculture intensive, les effluents industriels et urbains, les changements climatiques et bien d’autres facteurs entraînent une inquiétante dégradation des ressources en eaux souterraines. Les traiter pour pouvoir les utiliser sans danger pour la santé et pour l’environnement est souvent un processus long, difficile et de surcroît très coûteux.

« Parce qu’elles sont invisibles, associées aux mystères du monde souterrain et qu’elles se manifestent seulement par les sources, les puits et les fonds de quelques cavernes, les eaux souterraines sont les eaux de la nature les plus sujettes à questionnements et idées reçues : sur leur origine, l’art de les détecter, de les atteindre et de les extraire, leur disponibilité, leurs vertus et leurs défauts. » (Jean Margat et Thierry Ruf)

Une ressource en manque de gouvernance

« La plupart de nos aquifères exploités – sinon tous – ne font l’objet d’aucune gestion qui permettrait de conserver et de protéger ces ressources en eau douce vitales (…) Les ressources en eaux souterraines mondiales sont victimes d’une gouvernance insuffisante (…) Elles ont été souvent abandonnées à leur sort, malgré leur utilisation croissante et la dépendance qu’elles entraînent à leur égard. »

C’est le constat sans concession que posait en 2016 un document publié par cinq organisations internationales suite à une large consultation entre professionnels, usagers et gestionnaires des eaux souterraines. Pour ces experts, ce défaut de gouvernance est « l’une des causes profondes de l’épuisement des eaux souterraines et de la dégradation des aquifères ».

Sur la base de ce diagnostic, quelques principes d’action ont été avancés pour définir la manière par laquelle une bonne gouvernance des eaux souterraines devrait se traduire dans la pratique, à savoir :
1. les eaux souterraines ne devraient jamais être gérées de manière isolée, mais conjointement, le cas échéant, avec d’autres ressources hydriques afin d’améliorer la sécurité hydrique et assurer la bonne santé des écosystèmes ;.
2. les ressources en eaux souterraines et leur qualité devraient être gérées conjointement et, pour ce faire, il est nécessaire d’harmoniser la gestion des eaux souterraines et la gestion foncière :
3. une gouvernance efficace demande une gouvernance conjointe des espaces souterrains (un concept qui n’en est encore qu’à ses prémices) ;
4. l’élaboration et la mise en œuvre de la gestion des eaux souterraines et des plans de protection nécessitent une ‘‘intégration verticale’’ entre les niveaux local et national ;
5. la gouvernance des eaux souterraines doit se faire de manière coordonnée avec les autres secteurs concernés tels que l’agriculture, l’énergie, la santé, le développement urbain et industriel et l’environnement.


Principales sources et références

 Site officiel (principalement en anglais) de la Journée mondiale de l’eau worldwaterday.org. On y trouvera toutefois une fiche de synthèse (factsheet) en français et en format pdf qui a servi de point de départ à la rédaction de ce dossier aqueduc.info.
 « Gouvernance des eaux souterraines : Vision globale commune 2030 et Appel à l’action ». Document commun de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Programme hydrologique international de l’UNESCO, la Banque mondiale, le Fonds pour l’environnement mondial et l’Association internationale des hydrogéologues. Mars 2016, 20 pp. Disponible sur le site de la FAO.
 Dossier « État des eaux souterraines » sur le site de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).
 Jean Margat et Thierry Ruf, « Les eaux souterraines sont-elles éternelles ? - 90 clés pour comprendre les eaux souterraines ». Éditions Quae, Versailles, 2014, 155 pp.

Les autres articles de ce dossier :

 Deux ou trois choses qu’il faut savoir sur les eaux souterraines en Suisse
 Trois exemples d’eaux souterraines en Suisse romande
 Petit glossaire des eaux souterraines
 Eaux souterraines, un monde à découvrir (en images)
 Rendre visible l’invisible




Infos complémentaires

Les eaux souterraines de la planète
en quelques chiffres

 Réserve : la Terre renfermerait 10 à 11 millions de kilomètres cubes d’eaux douces souterraines (un km3 = un milliard de mètres cubes), soit environ 30 % de toutes les eaux douces de la planète et 97 % de l’eau douce à l’état liquide (si l’on ne tient pas compte des glaciers). À quoi s’ajoutent au moins autant d’eaux souterraines salines contenues dans des aquifères profonds.

 Prélèvements : selon des estimations datées de 2010, 1’000 km3 d’eau sont pompés chaque année dans les aquifères de la planète. Cette quantité correspond à 10 % environ des ressources en eau souterraine renouvelables et 25 % des prélèvements en eau douce de la planète. Ces prélèvements sont destinés principalement à l’irrigation (67 %), à la satisfaction de besoins domestiques (22 %) et à l’industrie (11 %). L’extraction des eaux souterraines dans le monde a plus que quadruplé au cours des dernières cinquante années.

 Recharge : le renouvellement annuel des eaux souterraines est évalué à quelque 13’000 km3, soit 35 % des ressources en eau renouvelables.

 468 aquifères transfrontaliers, c’est-à-dire des nappes souterraines dont certaines parties sont situées dans un ou plusieurs États différents, ont été inventoriés jusqu’à présent, par le Centre international de l’UNESCO dédié à l’évaluation des eaux souterraines à l’échelle mondiale (IGRAC). Les plus grands aquifères connus, dont l’étendue dépasse le million de kilomètres carrés, se trouvent en Amérique du Sud (aquifères de l’Amazonie et du Guarani) et en Afrique du Nord (aquifères des grès nubiens, du Sahara septentrional et du Lac Tchad).



Sources des statistiques mondiales :
 Ghislain de Marsily & Mustapha Besbes, « Les eaux souterraines ». Dans : Annales des Mines - Responsabilité et environnement. 2017/2 (N° 86).
 Jac van der Gun, « Groundwater and Global Change : Trends, Opportunities and Challenges ». In : WWDR4, UNESCO, 2012.
 International Groundwater Resources Assessment Centre (IGRAC). Transboundary Aquifers of the World Map (TBA Map) 2021

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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