Pendant trois ans, de 2012 à 2015, des chercheurs de l’Université de Genève avaient mené un projet (GOUVRHÔNE) qui avait pour ambition d’analyser la manière dont le Rhône était alors géré sur sa partie franco-suisse, du Léman aux portes de Lyon, et de proposer aux décideurs publics et privés divers scénarios pour une éventuelle gouvernance commune et durable de cette portion du fleuve. À l’époque, aqueduc.info s’était régulièrement fait l’écho de l’avancée de leurs recherches [1]. Aujourd’hui, les deux principaux acteurs de ces travaux initiés sous l’égide de l’Institut des sciences de l’environnement, Géraldine Pflieger et Christian Bréthaut, respectivement directrice et professeur assistant, publient (en anglais) l’essentiel de leurs conclusions [2] dont, de part et d’autre de la frontière, devraient pouvoir s’inspirer politiques et gestionnaires dans l’intérêt des usagers et riverains du fleuve franco-suisse.
Cet ouvrage s’articule autour des trois questions-clés que se sont d’emblée posées les chercheurs et qui leur ont servi de base de travail :
– Comment la gouvernance transfrontalière du Rhône a-t-elle évolué au cours du temps quand on sait que, pendant des décennies, ce fleuve était essentiellement regardé comme un outil de production d’énergie ? quels types de relations entretiennent entre eux les différents acteurs impliqués dans sa gestion ?
– Si l’on compare et analyse les différents modèles de gouvernance d’un fleuve transfrontalier, que peut-on dire de leurs atouts et de leurs faiblesses ? Dans quelle mesure la diversité des réponses apportées dépend-elle des contextes régionaux, des choix politiques et des orientations stratégiques ?
– A la lumière des expériences internationales, quels scénarios réalistes peut-on imaginer et développer de manière à susciter de nouvelles formes de coordination et de gouvernance transfrontalières entre les acteurs politiques et les utilisateurs du fleuve ?
Pas de scénario idéal
Aux termes de leur analyse, Christian Bréthaut et Géraldine Pflieger n’avancent aucun scénario idéal capable de répondre à tous les problèmes posés par la gestion transfrontalière du Rhône, mais proposent une base de réflexion et une gamme d’options pouvant elles-mêmes se décliner en diverses combinaisons possibles et selon des rythmes différents.
Sur les neuf scénarios élaborés sur la base de trois modèles bien distincts de gestion fluviale - Rhin (mode intégré et centralisé), Danube (décentralisé et monofonctionnel), et Columbia, en Amérique du Nord (décentralisé et polycentrique) - les chercheurs en soulignent deux qui selon eux "se distinguent clairement par la force de leurs capacités de gouvernance", à savoir :
– une autorité binationale du bassin du Rhône, c’est-à-dire un organe permanent franco-suisse doté de personnalité juridique et d’autonomie financière, jouant le rôle d’autorité de surveillance, d’encadrement et d’arbitrage des différents secteurs d’activité liés au fleuve (énergie, irrigation, eau potable, pêche, navigation, etc.), bref un mode de gestion de haute compétence ;
– une commission internationale pour la protection et la gestion du Rhône : elle aussi dotée de personnalité juridique et d’autonomie financière, mais d’une moindre capacité de pilotage et d’arbitrage, elle serait articulée autour d’un secrétariat permanent chargé de la coordination de ses différentes politiques en collaboration avec toutes les parties prenantes pour mettre en œuvre divers programmes d’action communs.
Les chercheurs assortissent toutefois leurs conclusions de mises en garde : d’une part, une structure de grande envergure peut présenter un risque d’inertie et il vaudrait mieux alors privilégier un système peut-être moins intégré mais nettement plus flexible ; d’autre part, la mise en œuvre d’institutions très structurées peut entraîner d’importantes dépenses d’investissement et des coûts élevés de fonctionnement.
Au final, on comprend bien que les choix politiques et techniques sont difficiles à faire et qu’il s’agit de concilier des intérêts souvent divergents parfois contradictoires entre des acteurs d’amont et d’aval. À quoi s’ajoutent, aujourd’hui, de grandes incertitudes liées aux changements climatiques, aux quantités d’eau qui seront disponibles dans les prochaines décennies et à la préservation de leur qualité. Raisons de plus, dira-t-on, pour décupler les opportunités de dialogue entre usagers et riverains d’un fleuve transfrontalier aussi vital que le Rhône. (bw)