Le comité du Codex sur les eaux minérales naturelles (présidé par la Suisse, voir ci-contre) est resté inactif pendant plus de sept ans. Sa dernière réunion remonte à l’automne 2000 à Fribourg, où il avait examiné un avant-projet de norme pour les eaux conditionnées en bouteilles autres que les eaux minérales naturelles. Plusieurs pays ayant demandé sa réactivation, la Suisse a été officiellement invitée à organiser une nouvelle session. C’est alors que Lugano s’est mise sur les rangs des villes hôtes.
Pour le canton du Tessin et la Ville de Lugano, se retrouver aux côtés de Paris, Londres, Washington, Ottawa, New Delhi, etc. qui hébergent d’autres comités spécialisés du Codex, c’est une aubaine, y compris sur le plan économique et touristique. Les autorités cantonales et municipales n’ont donc pas ménagé leurs efforts pour tenter de convaincre leurs hôtes de revenir régulièrement à Lugano.
Voilà pour le décor. Sur le fond, il n’est pas besoin de préciser que ce comité aborde des questions tout à fait d’actualité, compte tenu du marketing actif des producteurs d’eaux minérales et de l’engouement croissant des consommateurs. De toute évidence, c’est un marché toujours plus prometteur. Certes, l’expertise demandée à ce comité Codex est d’abord d’ordre sanitaire : à quelles normes de sécurité alimentaire les eaux minérales naturelles doivent-elles satisfaire ? Mais ces mêmes experts savent très bien que leurs analyses et leurs conclusions seront lues attentivement autant par les fonctionnaires de l’Organisation mondiale du commerce que par les producteurs d’eaux embouteillées.
Et le développement durable, dans tout ça ?
Seraient-ils néanmoins sensibles à d’autres arguments, par exemple en matière de développement durable : peut-on en même temps affirmer que l’eau est un bien commun et en faire commerce ? Peut-on vanter les mérites de l’eau en bouteille au détriment des efforts louables faits par les services publics pour distribuer au robinet une eau de qualité irréprochable ?
« C’est vrai que l’eau en bouteille a par définition un prix nettement supérieur à celui de l’eau potable », explique Pierre Studer, chef de la délégation suisse à la session du comité Codex de Lugano, dans une interview recueillie par swissinfo. « À partir de cette donnée objective, on peut dire que l’eau en bouteille n’est peut-être pas très éthique dans la mesure où elle est réservée à ceux qui ont les moyens de l’acheter. Le droit à l’eau est indéniable, certes, mais l’eau potable a aussi un prix, radicalement différent ». Reste, même si ce n’est pas vraiment le cas en Suisse, que l’eau du robinet pâtit trop souvent d’un vrai déficit d’image.
Plusieurs ONG tessinoises – engagées sur le terrain de la défense des consommateurs, de la protection de l’environnement ou de la coopération au développement - l’ont bien compris et non pas non plus manqué l’occasion de faire savoir tout le mal qu’elles pensent de l’eau en bouteilles : transports absurdes, production de déchets, prix élevé pour un produit dont on dispose chez soi à la meilleure qualité possible, accès à l’eau potable problématique pour des centaines de millions de personnes de par le monde, etc.
Face à l’énorme pouvoir de « persuasion » commerciale des producteurs, les services de distribution d’eau en réseaux sont assez impuissants, constate Mario Jäggli, président de l’ACSI, l’association des consommateurs de Suisse italienne. Aux citoyens donc d’agir de manière responsable : « Acheter et boire de l’eau en bouteilles alors qu’on a fait d’énormes sacrifices pour l’avoir directement dans sa maison, abondante, fraîche, d’excellente qualité et bon marché, c’est aussi insensé que de respirer de l’air en bonbonnes. La progression actuelle du commerce d’eau minérale est l’antithèse du développement durable que tout le monde dit vouloir et qui devrait concilier les aspects économiques, environnementaux et sociaux. Ici en fait, il s’agit seulement et uniquement de business. » (bw)
Liens
Communiqué de presse du Département cantonal tessinois de la santé et des affaires sociales
Pour en savoir plus sur le Codex Alimentarius : www.codexalimentarius.net