Le Parc national suisse, fondé en 1914, est la plus grande réserve naturelle du pays et le plus ancien des parcs nationaux de l’arc alpin. D’un point de vue écologique, le principal cours d’eau qui traverse ce territoire protégé a été toutefois durablement modifié lorsque la décision a été prise à la fin des années 1950 - non sans une grande controverse et une votation nationale finalement favorable - d’exploiter cette ressource à des fins de production hydroélectrique.
Le Spöl, qui prend sa source en Italie voisine, est d’abord retenu dans le lac artificiel de Livigno créé par le barrage de Punt dal Gall sur la frontière italo-suisse. Un autre petit lac, qui sert de bassin de compensation, a été aménagé quelque six kilomètres en aval, à proximité de la centrale d’Ova Spin. Après quoi la rivière, ou plutôt son débit résiduel, se jette non loin de Zernez dans l’Inn, affluent du Danube. À noter que ce complexe hydroélectrique (qui comprend par ailleurs plusieurs dérivations entre les vallées) a fait l’objet d’une convention internationale réglant le partage des eaux et de la force hydraulique entre la Suisse et l’Italie.
Le samedi 30 mars, des gardes du Parc constatent que, pour des raisons techniques et une panne qui restent à élucider, le Spöl manque anormalement d’eau. L’alarme est donnée et les Forces motrices de l’Engadine (EKW) décident d’ouvrir une vanne du barrage de Punt dal Gall. Problème : le taux de remplissage de la plupart des barrages suisses est actuellement l’un des plus faibles enregistrés au cours de ces dernières années.
Compte tenu de ce niveau très bas, l’ouverture des vannes libère non seulement de l’eau mais aussi une grande quantité de boues et de sédiments. La faune aquatique qui se trouve en aval du barrage, déjà mal approvisionnée en eau, est alors quasiment asphyxiée et des poissons sont même entraînés dans les turbines de la centrale électrique qui ont dû être mises à l’arrêt. Des enquêtes sont en cours pour déterminer le pourquoi et le comment de ce grave accident écologique.
Des efforts de renaturation quasi anéantis
En fait, on peut parler de véritable désastre, d’autant que depuis une douzaine d’années, le Spöl fait l’objet d’études scientifiques et d’expérimentations en collaboration avec l’Institut de recherche sur l’eau Eawag. D’où l’on pouvait déjà conclure qu’il est "tout à fait possible d’assurer la protection écologique des cours d’eau à débit réservé sans entraver de manière exagérée la production électrique".
Des crues artificielles ont été testées et un nouveau régime de débit résiduel a été mis en place en 2011 de manière à redonner à la rivière une nouvelle dynamique et tenter de lui faire retrouver ses caractéristiques de torrent de haute montagne. De plus, les experts y ont observé des espèces animales jamais recensées auparavant ainsi qu’une augmentation des zones de frai de la truite, seule espèce de poisson vivant en permanence dans le Spöl.
Après cet accident, il importe de toute urgence de débarrasser le Spöl de ses boues avant qu’elles ne se solidifient, ce qui rendrait le lit de la rivière inhabitable pour longtemps. La seule façon de procéder est de réalimenter le cours d’eau sans mettre à nouveau en danger les poissons et autres organismes qui ont survécu au désastre. Quant à la réhabilitation totale de la rivière, elle pourrait prendre jusqu’à une bonne dizaine d’années. (Sources : Parc national suisse, EKW, Eawag)
Liens utiles
– Site du Parc national suisse
– Engadiner Kraftwerke AG
– Convention italo-suisse de 1957 au sujet de l’utilisation de la force hydraulique du Spöl
– Article aqueduc.info : "Les écosystèmes aquatiques imposent leurs conditions, l’exemple de la rivière Spöl". Lire >
– Eawag News 54, février 2003, Christopher T. Robinson, "La réponse des cours d’eau aux crues expérimentales". Lire >