D’ici le milieu du 21e siècle, la demande d’eau dans les grandes villes de la planète continuera d’augmenter fortement en raison surtout de l’accroissement de leur population. Parallèlement les changements climatiques auront un impact sur les régimes hydrologiques et sur l’approvisionnement en eau potable. Dans certaines villes, il n’y aura plus assez d’eau disponible sur place pour répondre à la demande. Et pour celles qui dépendent du transfert d’eaux captées en milieu rural, il pourrait y avoir alors concurrence entre les impératifs agricoles et ceux du secteur urbain, sans parler des exigences en matière de protection de l’environnement. Selon une étude scientifique publiée par le Nature Sustainability Journal, nombre de grandes villes sont aujourd’hui déjà vulnérables aux pénuries d’eau et une grande ville sur six pourrait être un jour confrontée à de graves déficits hydriques.
Les données et les estimations démographiques de base sont connues : plus de la moitié de la population mondiale (54 %) vit aujourd’hui dans des villes qui, d’ici une douzaine d’années, pourraient compter au total quelque deux milliards d’habitants supplémentaires. Parallèlement, au cours des 60 dernières années, les usages domestiques de l’eau à l’échelle mondiale ont été quasiment multipliés par quatre du fait de la croissance démographique, du développement économique et d’un meilleur accès aux infrastructures d’eau potable.
Selon certaines prévisions, les prélèvements d’eau domestique pourraient croître de 50 à 250 % d’ici le milieu du siècle. Cette augmentation de la demande en eau survient alors même que certaines villes sont déjà confrontées à des pénuries. À cela s’ajoutent des changements climatiques dont les experts s’accordent à dire qu’ils vont probablement aggraver les problèmes d’approvisionnement en eau. Suite aux impacts de ces changements climatiques sur les ressources hydriques combinés à l’urbanisation croissante, c’est plus d’un milliard de citadins qui pourraient être confrontés à de futures pénuries d’eau.
Dans l’étude qu’elle a fait paraître dans le Nature Sustainability Journal [1], une équipe de scientifiques, conduite par Martina Flörke, du Centre de recherches sur les systèmes environnementaux à l’Université de Kassel (Allemagne), s’est concentrée sur 482 villes comptant au total quelque 736 millions d’habitants. Les chercheurs se sont efforcés de quantifier le déficit urbain des eaux de surface ainsi que l’empreinte de ces agglomérations sur les eaux souterraines urbaines. Ils ont pour cela testé deux scénarios : l’un où les villes ont la priorité absolue dans l’approvisionnement en eau, l’autre où elles ne sont approvisionnées qu’après les autres utilisateurs (les industries et les producteurs agricoles), voire après les prélèvements nécessaires à la survie des écosystèmes aquatiques.
Déficits urbains, concurrence ville-campagne,
eaux souterraines surexploitées
Les principales conclusions de cette recherche :
– Dans l’hypothèse où les villes ont la priorité sur les autres secteurs, 16 % d’entre elles ont connu au moins un mois de déficit d’eau de surface pendant la période étudiée (1971-2000) : dans ce cas, elles dépendent donc fortement de leurs capacités de stockage. Compte tenu des effets du réchauffement climatique et de l’urbanisation, leur pourcentage devrait atteindre 27 % en 2050 et 46 % si l’on respecte les normes environnementales. Cela signifie que les besoins des usagers agricoles entreront en conflit avec ceux des villes, car il n’y aura pas assez d’eau pour répondre à la demande totale. L’Asie du Sud est la région où ce type de concurrence est généralement le plus élevé.
– La demande croissante d’approvisionnement en eau en milieu urbain, les changements climatiques et les développements socio-économiques créeront aussi une pression supplémentaire sur les eaux souterraines. Les estimations en termes d’empreinte sur les aquifères urbains montrent qu’en 2050 une centaine de grandes villes auront doublé la quantité d’eau qu’elles prélèvent dans les nappes souterraines. Cela aura pour conséquence non seulement de ne plus réussir à recharger ces réserves mais aussi de rendre les captages plus onéreux en raison de la baisse de niveau des aquifères.
– Les chercheurs estiment qu’en 2050 le déficit global de l’eau de surface urbaine pourrait atteindre entre 1,3 et plus de 6 milliards de m³, selon les différents scénarios, voire beaucoup plus encore si l’on tient compte des besoins environnementaux. Les trois villes les plus sérieusement menacées par des pénuries d’eau sont Los Angeles (USA), Jaipur (Inde) et Dar es Salam (Tanzanie). Suivent : Dalian (Chine), San Diego (USA), Karachi (Pakistan), Harbin (Chine), Phoenix (USA), Porto Alegre (Brésil) et Monterrey (Mexique).
"Les solutions passent par la gestion intégrée"
L’une des solutions aux déficits urbains en eau de surface, quand les villes sont en concurrence avec des usages agricoles, serait de réduire les prélèvements d’eau d’irrigation grâce à des techniques plus efficaces et moins gourmandes, de choisir des variétés de cultures mieux adaptées aux conditions locales et de prendre d’autres mesures adéquates d’adaptation aux changements climatiques. Les chercheurs pensent aussi à la réduction des terres irriguées ou à la réutilisation des eaux usées, ce qui suppose évidemment de nouveaux investissements et surtout la volonté politique de favoriser l’innovation.
C’est un fait également que villes et campagnes deviendront toujours plus interdépendantes. Mais si les villes vont s’approvisionner en eau à l’extérieur, elles risquent de déplacer leurs déficits hydriques vers des régions rurales parfois très éloignées et créer de nouveaux problèmes à des millions de personnes, à leur économie et à leur environnement. Pour les auteurs de cette étude, il est donc clair que "des solutions de gestion multisectorielles intégrées seront nécessaires dans de nombreux domaines pour s’adapter à la pénurie d’eau". (bw)