Ce n’est pas une hypothèse parmi d’autres : dans les prochaines décennies, l’évolution de la disponibilité en eau et de ses usages va dépendre de plus en plus des changements climatiques mais aussi socio-économiques. Dans ces conditions, comment va-t-on gérer cette ressource dans les régions alpines les plus sèches et parfois exploitées de manière intensive ?
- La région Crans-Montana-Sierre,
entre la plaine du Rhône
et le glacier de la Plaine Morte
(document MontanAqua)
Pour plusieurs raisons - entre autres la permanence de structures ancestrales et la priorité accordée à la satisfaction des besoins plutôt qu’à la gestion de l’offre - la région de Crans-Montana-Sierre, en Valais, fournit à ce sujet un terrain propice à des analyses et à des questionnements applicables peut-être à d’autres situations analogues.
Inscrit parmi les 16 thématiques retenues par le Programme national suisse de recherche (PNR 61) sur la gestion durable de l’eau (voir ci-contre) et mené conjointement durant quatre ans par les universités de Berne, Fribourg et Lausanne, le projet MontanAqua avait précisément pour objectif de proposer des stratégies pour une gestion et une distribution de l’eau optimales et équilibrées et de le faire en étroite collaboration avec les différents acteurs concernés à l’échelle de cette région constituée de 11 communes (1).
État des lieux
La région dispose actuellement de ressources en eau relativement abondantes (de l’ordre de 140 millions de m3 par année). Il est vraisemblable qu’elles ne diminueront que faiblement d’ici le milieu du siècle. Il faudra toutefois s’attendre à des périodes de sécheresse plus nombreuses et à des pénuries temporaires notamment en fin d’été.
Le glacier de la Plaine Morte (8,4 km2 de surface pour un volume de 0.8 km3) représente une importante ressource régionale : une grande part de ses débits estivaux s’écoule normalement vers le nord, mais plutôt vers le sud en période d’étiage (donc dans la région de Crans-Montana-Sierre). Ce glacier, qui perd régulièrement de son volume, disparaîtra aux alentours de 2080, mais les apports de son bassin versant devraient rester assez conséquents, marqués notamment par de plus grands écoulements souterrains.
La région utilise actuellement ses ressources hydriques principalement pour l’approvisionnement en eau potable, l’irrigation, la production d’énergie hydroélectrique et les aménagements touristiques (neige artificielle, arrosage des golfs). Ces différents usages (sans l’hydroélectricité) représentent quelque 10 à 13 millions de m3 d’eau par an, soit moins de 10% de la ressource globale disponible. L’hydroélectricité, pendant ce temps, en dérive quelque 60 à 80 millions.
Les besoins moyens en eau, au vu des différents scénarios socio-économiques, ne devraient pas varier énormément. Par contre, les besoins maximaux pourraient augmenter assez fortement (+ 60 % dans l’un des scénarios) en particulier en saison estivale et pour répondre aux besoins d’irrigation.
- À Chermignon :
bassin d’accumulation
de 30’000 m3
pour l’irrigation
- La gestion actuelle de l’eau dans la région est jugée comme d’une grande complexité et d’une excessive fragmentation, marquée entre autres par la prédominance de la technique sur la politique et de la gestion par l’offre sur celle par la demande : "la répartition des ressources ne se fait pas en fonction des besoins réels mais en fonction des droits d’eau et cela donne lieu à de nombreuses situations d’inégalités face à la ressource entre les différents acteurs" peut-on lire dans la synthèse des documents de recherche.
Même si la performance économique de ce système de gestion n’a pu être évaluée de manière satisfaisante, des disparités assez importantes ont été constatées quant au coût de l’eau par habitant entre les communes et quant à ses tarifs globalement peu élevés en comparaison nationale et internationale.
Au final, la gestion actuelle de l’eau est jugée économiquement durable car elle permet de satisfaire la demande en eau potable, de développer une offre de loisirs et touristique de qualité, et de contribuer à la production d’énergie hydroélectrique. Cette gestion est cependant jugée moins performante sous l’angle écologique, notamment en ce qui concerne le maintien de débits résiduels dans certains cours d’eau, et peu durable en termes d’équité sociale (trop d’inégalités dans l’accès à la ressource).
Cinq messages à retenir
En conclusion, le groupe de recherche MontanAqua livre cinq messages-clés assortis de recommandations dont le suivi appartiendra bien évidemment aux autorités communales et cantonales ainsi qu’aux divers groupements d’usagers :
- Les changements socio-économiques auront des répercussions plus importantes que le changement climatique sur la situation hydrique en 2050 : il apparaît nécessaire d’opter pour un type de développement qui limite les besoins en eau et pour une forte modification des pratiques actuelles de gestion des ressources hydriques.
- Les quantités d’eau disponibles aujourd’hui et en 2050 sont globalement suffisantes, toutefois des pénuries sont possibles dans certaines régions et de manière saisonnière : la vision future des gestionnaires de l’eau devrait aller au-delà du développement d’infrastructures techniques et s’accompagner d’une redéfinition des droits d’eau à l’échelle régionale.
- Les problèmes d’eau sont avant tout des problèmes de gestion au niveau régional : seule la création d’une "institution de gestion de l’eau supra-communale" pourrait garantir une meilleure coopération entre les collectivités et une véritable gestion par la demande (coordination des usages et réduction des besoins).
- Des mesures intercommunales sur les infrastructures peuvent contribuer à assurer durablement l’approvisionnement en eau, mais uniquement si celles-ci sont intégrées dans des réformes institutionnelles ambitieuses : une gestion plus équitable de l’eau à l’échelle régionale devrait donc, entre autres, s’accompagner d’une nouvelle négociation des principes de gestion et des droits d’accès à la ressource.
- Pour atteindre une gestion régionale durable de l’eau, l’amélioration des données de base et leur transparence est nécessaire : le canton du Valais semble le mieux placé pour développer une stratégie de monitoring de l’eau à l’échelle régionale et de collecte harmonisée de données statistiques de base. (Source : Projet MontanAqua)
(*) Les 11 communes de la région de Crans-Montana-Sierre comptent actuellement quelque 36’000 habitants. À quoi s’ajoute une très forte fréquentation touristique et hôtelière. À elle seule, la station de Crans-Montana affiche une capacité d’hébergement de 40’000 lits et enregistre chaque année plus d’un million et demi de nuitées.
Le document de synthèse "MontanAqua. Anticiper le stress hydrique dans les Alpes – Scénarios de gestion de l’eau dans la région de Crans-Montana-Sierre (Valais) - Résultats finaux et recommandations" peut être téléchargé sur le site de l’Institut de géographie de l’Université de Berne