Après les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), voici donc les dix-sept nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU pour l’horizon 2030. L’un d’eux a pour ambition, décliné en six cibles particulières, de "garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau".
Au tournant du siècle, l’ONU et les gouvernements de la planète s’étaient solennellement engagés à réduire de moitié avant 2015 le pourcentage de la population qui n’avait pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base.
Quinze ans plus tard et au bilan final, du moins celui officiellement dressé par l’ONU elle-même dans son rapport 2015, il y aurait de quoi pavoiser : en effet, 91 % de la population mondiale utiliserait aujourd’hui une source d’eau potable améliorée, contre 76 % en 1990, et 147 pays auraient atteint la cible "eau potable".
Progrès il y a eu, sans aucun doute. Mais ces chiffres ne permettent pas de véritablement crier victoire, pour plusieurs raisons :
– 663 millions de personnes de par le monde, selon le même rapport, n’auraient toujours pas accès à une eau salubre et on ne peut évidemment pas se contenter d’en faire le constat ;
– le label "eau potable améliorée" (en clair : des points d’approvisionnement non partagés avec des animaux) ne garantit pas que cette eau soit effectivement de bonne qualité ;
– les pourcentages annoncés au niveau mondial non seulement ne sont guère vérifiables (faute d’outils statistiques pertinents) mais cachent aussi d’énormes disparités entre les continents (l’Océanie, l’Afrique subsaharienne et l’Asie centrale n’ont visiblement pas atteint l’objectif annoncé), entre les zones urbaines et les régions rurales, et plus globalement entre populations les plus pauvres et les plus aisées.
À cela s’ajoute le fait que 40 % de la population mondiale sont actuellement touchés par des pénuries d’eau, dues à diverses raisons – climatiques, économiques, sociales, institutionnelles ou autres - et qu’il est fort probable que cette proportion augmentera dans les prochaines décennies.
L’assainissement, dans un coin
Dans le domaine de l’assainissement, deux milliards de personnes supplémentaires ont certes eu accès à des services améliorés depuis 1990, mais l’objectif n’a pas été atteint au niveau mondial : elles sont deux milliards et demi à ne pas bénéficier du strict minimum d’installations sanitaires, en particulier dans le monde rural.
Dans ce domaine, et malgré les vastes campagnes lancées en 2008 dans le cadre de l’Année internationale de l’assainissement, l’échec est patent.
"Nous voulons un monde où tout le monde ait accès à l’eau et à l’assainissement, déclarait en 2011 Catarina de Albuquerque, alors Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le droit à l’eau et à l’assainissement. Nous voulons un monde où les individus ne tombent pas malades à cause de l’eau qu’ils consomment ou ne rendent pas malade autrui parce qu’ils sont forcés de déféquer en plein air."
Elle n’a guère été entendue, jusqu’ici, par la majorité des dirigeants politiques et des administrations publiques qui ont encore et toujours beaucoup de peine à reconnaître ce droit humain fondamental et à décider des moyens de le mettre en pratique (*).
Écoliers béninois en corvée d’eau (photo B.Capo-Chichi)
Les nouveaux engagements
pour les 15 prochaines années
Dans la nouvelle configuration des engagements décidés par le dernier Sommet de New York, l’accès à l’eau salubre et à l’assainissement constitue un objectif à part entière et non, comme auparavant, une sorte de sous-rubrique sociale au sein des politiques et des programmes de développement durable. Il s’agit désormais, au travers du 6e des 17 objectifs définis par l’ONU, de "garantir l’accès de tous à des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau".
Cet objectif se décline en six cibles, à savoir :
- D’ici à 2030, assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable
- D’ici à 2030, assurer l’accès de tous, dans des conditions équitables, à des services d’assainissement et d’hygiène adéquats et mettre fin à la défécation en plein air, en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et des filles et des personnes en situation vulnérable
- D’ici à 2030, améliorer la qualité de l’eau en réduisant la pollution, en éliminant l’immersion de déchets et en réduisant au minimum les émissions de produits chimiques et de matières dangereuses, en diminuant de moitié la proportion d’eaux usées non traitées et en augmentant considérablement à l’échelle mondiale le recyclage et la réutilisation sans danger de l’eau
- D’ici à 2030, augmenter considérablement l’utilisation rationnelle des ressources en eau dans tous les secteurs et garantir la viabilité des retraits et de l’approvisionnement en eau douce afin de tenir compte de la pénurie d’eau et de réduire nettement le nombre de personnes qui souffrent du manque d’eau
- D’ici à 2030, mettre en œuvre une gestion intégrée des ressources en eau à tous les niveaux, y compris au moyen de la coopération transfrontière selon qu’il convient
- D’ici à 2020, protéger et restaurer les écosystèmes liés à l’eau, notamment les montagnes, les forêts, les zones humides, les rivières, les aquifères et les lacs
- D’ici à 2030, développer la coopération internationale et l’appui au renforcement des capacités des pays en développement en ce qui concerne les activités et programmes relatifs à l’eau et à l’assainissement, y compris la collecte de l’eau, la désalinisation, l’utilisation rationnelle de l’eau, le traitement des eaux usées, le recyclage et les techniques de réutilisation
- Appuyer et renforcer la participation de la population locale à l’amélioration de la gestion de l’eau et de l’assainissement.
À noter aussi, dans cette nouvelle liste des 17 objectifs de développement durable, celui qui vise à "conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable" (objectif n°14) et qui appelle notamment les États à prévenir et réduire les pollutions marines, à gérer et protéger durablement les écosystèmes marins et côtiers, à réglementer efficacement la pêche et mettre un terme à la surpêche.
Objectif 6.6 : d’ici à 2020, protéger et restaurer les écosystèmes liés à l’eau. (photo aqueduc.info)
De la théorie à la pratique,
ou de l’utopie à l’échec annoncé
La lecture de l’intégralité de ces 17 objectifs et des 169 propositions d’actions ciblées qui leur correspondent rend perplexe et génère bon nombre d’interrogations. Est-il vraiment raisonnable – ou n’est-il pas tout simplement aberrant ? - de dresser l’inventaire de tous les problèmes de développement durable à l’échelle planétaire et de s’engager à leur trouver une solution en l’espace de quelques années ? Vouloir tout entreprendre en même temps et partout rend absolument illisibles les priorités et réduit d’autant les perspectives de réussite.
Dans ce qui ressemble davantage à un catalogue de bonnes intentions qu’à un plan de bataille stratégique – faut-il rappeler que ce programme n’impose aucune contrainte juridique aux États membres de l’ONU et ne prévoit donc aucune forme de sanction pour les mauvais élèves ? - chacun aura beau jeu de ne retenir que ce qui lui plaît en fonction de ses propres priorités nationales, de ses besoins immédiats et de ses capacités de réponse.
Il sera dès lors extrêmement difficile, sinon quasiment impossible, de comparer les résultats des uns et des autres, non seulement parce que d’une région à l’autre les situations peuvent extrêmement varier pour toute une série de raisons imputables ou non à des interventions humaines (c’est le cas tout particulièrement en ce qui concerne la disponibilité et l’accessibilité des ressources en eau) mais aussi parce que l’on manque encore singulièrement de données fiables, de critères appropriés et d’outils performants permettant de mesurer la réalité des avancées et des reculs (pour savoir par exemple si l’accès à un point d’eau amélioré se traduit par un approvisionnement d’eau effectivement potable).
La mise en œuvre de tous ces objectifs de développement durable va en outre coûter très cher. Les chiffres avancés concernant leur financement tournent généralement autour des 5000 milliards de dollars par année. Où trouvera-t-on autant d’argent alors même que l’économie mondiale traverse une période de crise dont on ne sait quand ni comment elle en sortira ? Compter pour cela sur l’aide publique au développement est un leurre : après avoir connu une embellie au début des années 2000, elle s’est mise à stagner et de toute façon, avec ses quelque 135 milliards de dollars annuels, elle ne pèse pas lourd dans la balance. Ce sont donc dans leurs systèmes fiscaux, dans les investissements privés et dans leurs échanges commerciaux notamment que les États, y compris les moins bien lotis, devront d’abord chercher les ressources financières indispensables à la réalisation de leurs engagements.
Restent aussi de grosses incertitudes quant à ce que les années à venir réservent à l’humanité. Qui par exemple aurait pu prévoir au tournant du siècle la fulgurante progression du nombre de migrants et de réfugiés à travers le monde, passant en une décennie de quelque 20 millions de personnes à plus de 50 millions, avec tout ce que cela signifie en termes de souffrances et de négations de droits humains élémentaires, d’aide humanitaire et de réponse urgente à des questions de vie ou de mort ?
Et quels seront demain les impacts concrets des changements climatiques sur la vie quotidienne des populations les plus exposées aux dangers de plus en plus fréquents d’événements extrêmes, sécheresses, inondations et autres, comment pourront-elles s’en protéger et se préparer à y faire face ? Nul ne le sait vraiment. Et on peut douter qu’un autre sommet – celui de Paris en décembre prochain sur les changements climatiques – soit en mesure d’y apporter des ripostes convaincantes.
Entendons-nous bien. Il est de par le monde d’innombrables hommes et femmes - dans des services publics, des entreprises privées, des organisations professionnelles ou des associations bénévoles – qui se sont engagés personnellement dans la lutte contre la pauvreté, la faim et les inégalités les plus criantes, pour l’accès à l’eau potable, à l’éducation et aux soins de santé, bref pour le respect et la promotion des droits de l’homme et de son environnement, et qui pour ce faire n’ont pas attendu que l’ONU fasse des déclarations solennelles, fixe des objectifs théoriques, compile des statistiques et dresse des plans d’action pour toute la planète.
Il est plus que vraisemblable que nombre d’entre eux n’entendront jamais parler de ces nouveaux Objectifs pour le développement durable, et sans aucun doute ne les liront jamais. Mais cela ne les empêchera pas de poursuivre leur inlassable combat au plus près de leurs réalités quotidiennes. Le pape François s’est d’ailleurs chargé de rappeler à la tribune même des Nations Unies, quelques heures avant l’adoption de ces ODD, que l’action politique et économique n’a d’efficacité que si elle ne perd pas de vue "qu’avant et au-delà des plans comme des programmes il y a des femmes et des hommes concrets, égaux aux gouvernants".
Bernard Weissbrodt
(*) Catarina de Albuquerque, Rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement de 2008 à 2014, Droit au but - Bonnes pratiques de réalisation des droits à l’eau et à l’assainissement, 2012, Voir >