Réunis à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) – soit dit en passant, c’est la première fois que l’Eawag, basée en région zurichoise, organisait en terres romandes sa journée annuelle d’information – quelque 200 spécialistes du domaine de l’eau et de l’assainissement ont pu mesurer l’ampleur du défi posé à la Suisse en matière d’élimination des micropolluants.
Depuis 1963, année où la protection des eaux a été inscrite dans la Constitution fédérale, ce pays a certes nettement amélioré la qualité de ses eaux grâce notamment à des mesures contraignantes telle l’interdiction des phosphates dans les produits de lessive et au développement de ses stations d’épuration. Après avoir dû faire face aux problèmes d’eutrophisation et de manque d’oxygène dans ses lacs, c’est à l’apport massif de micropolluants dans ses eaux usées qu’il est aujourd’hui confronté.
Faire avancer la recherche
On estime dans les milieux scientifiques que plus de 30’000 substances chimiques - médicaments, détergents, biocides, pesticides et de multiples autres produits de synthèse - sont utilisées chaque jour en Suisse pour répondre à des besoins des ménages, des collectivités, de l’agriculture et des entreprises industrielles. Longtemps, par manque de connaissances et de moyens de détection performants, la présence de ces micro-organismes a été sous-estimée. Et malgré les rapides progrès de la recherche, non seulement on est loin de les avoir tous identifiés (d’autant que l’industrie produit quotidiennement de nouveaux composés) mais leurs impacts sur l’environnement sont encore et toujours très mal connus.
"Grâce aux nouvelles techniques d’analyse, explique Christa McArdell, spécialiste de l’Eawag en chimie de l’environnement, il est aujourd’hui possible de détecter les polluants présents dans le milieu aquatique à très faible concentration et d’évaluer la contamination par les micropolluants de façon plus réaliste (...) Cet effort de perfectionnement technique doit être maintenu pour cerner la pollution réelle."
Adriano Joss, spécialiste en technologie d’épuration des eaux, étudie actuellement la possibilité d’améliorer la traditionnelle étape d’épuration biologique des STEP de manière à ce qu’elle puisse contribuer à l’élimination des micropolluants des eaux usées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pour sa recherche, il exploite pas moins de 12 micro-STEP dans les laboratoires de l’Eawag à Dübendorf.
(© Eawag, Aldo Todaro)
Moderniser les STEP
Une chose est de détecter les micropolluants présents dans l’eau et plus particulièrement dans les eaux usées, une autre est de réussir à les éliminer. Parallèlement à la poursuite des recherches scientifiques, la Suisse a pris la décision d’équiper ses principales stations d’épuration – une centaine sur les quelque 700 existantes – d’installations supplémentaires permettant d’éliminer environ 80 % des micropolluants. Ce faisant, estime Michael Schärer, chef de la section Protection des eaux à l’Office fédéral de l’environnement, elle est appelée à jouer dans ce domaine et sur le plan international un véritable "rôle de pionnier".
À l’entendre, la mise en œuvre progressive, dès l’an prochain et jusque vers 2040, de technologies comme l’ozonation et le charbon actif qui ont fait leurs preuves dans de nombreux essais pilotes de traitement d’eaux usées devraient considérablement améliorer la qualité des effluents d’épuration et neutraliser presque totalement les effets nocifs sur les organismes aquatiques.
Mais faire face à ce que Michael Schärer appelle "un défi permanent et complexe" appelle aussi d’autres mesures à différents niveaux : "De manière générale, la réduction des atteintes à l’environnement doit passer par l’adoption de comportements responsables vis-à-vis des ressources naturelles dans tous les domaines d’activité humaine (…) C’est en combinant mesures à la source et mesures correctives que nous pourrons lutter efficacement, et dans le consensus, contre les émissions de micropolluants."
D’abord guérir ou prévenir ?
Poser la problématique en ces termes renvoie évidemment à la question des choix politiques : quelles mesures prendre alors qu’on n’est pas totalement certain de leur efficacité ? faut-il privilégier des solutions techniques ? faut-il limiter voire interdire l’usage de certaines substances chimiques ? faut-il surveiller en priorité certains secteurs comme les hôpitaux, l’agriculture ou l’industrie ? comment convaincre acteurs et usagers du bien-fondé des décisions à prendre ?
Un groupe de recherche de l’Eawag, associé à l’Université de Berne, s’est intéressé à la façon dont les principaux acteurs de la politique suisse – partis parlementaires, groupes d’intérêts économiques, ONG environnementales et associations de consommateurs, soit au total une bonne quarantaine de points de vue recueillis – abordaient les problèmes de régulation des micropolluants et à quels types de mesures allaient leurs préférences.
Cette enquête (*) a montré qu’une majorité de ces responsables politiques, à l’instar des milieux scientifiques et des experts impliqués au niveau international, se prononçait pour l’installation de traitements avancés dans les stations d’épuration. On comprend dès lors pourquoi les autorités fédérales ont opté pour cette solution.
Par contre – et cela mérite d’être souligné - les acteurs directement impliqués dans la gestion des eaux usées ont de leur côté nettement affiché leur préférence pour des mesures prises à la source des pollutions. Peut-on imaginer qu’un jour une majorité d’acteurs politiques puisse privilégier l’appui à des solutions préventives plutôt que réactives ?
"Notre analyse, commente Karin Ingold, cheffe de cette équipe de recherche, montre que certains groupes seraient disposés à accepter des mesures et des coûts supplémentaires (…) Par ailleurs, les représentants agricoles et économiques se sont déclarés prêts à accepter des mesures à la source si elles respectaient le principe de la proportionnalité."
Quoi qu’il en soit, les modifications de la loi sur la protection des eaux décidées par le Parlement fédéral entreront en vigueur le 1er janvier 2016. L’installation de nouveaux équipements dans les principales stations d’épuration sera financée par une taxe fédérale : chaque STEP se verra imposer une charge annuelle de 9 francs par habitant raccordé, ce qui permettra de financer 75 % des investissements de base dont le montant total dépasse le milliard de francs. Cela se traduira évidemment dans les budgets des ménages par une légère augmentation du prix de l’eau. (bw)
– Site web de l’Eawag
– (*) Karin Ingold et Florence Metz, Evaluer le politiquement faisable, Newsletter Eawag N°3, 2014