C’est à Borde Brende, Ministre norvégien de l’environnement, que l’on doit ce diagnostic impitoyable. Il ne l’a pas lâché au détour d’une conversation, mais en tant que Président de la Commission du développement durable (CDD) qui tenait session annuelle au siège de l’ONU du 19 au 30 avril.
Cette Commission inaugurait sa nouvelle méthode de travail qui consiste à se consacrer à un "module thématique" pendant deux sessions consécutives, la première pour "examiner" les progrès (ou les reculs), la seconde pour "décider" des actions à entreprendre. Comme si de Rio à Johannesburg, les sommets de la Terre n’avaient pas assez accouché de bilans ni de promesses.
Toujours est-il que les agendas 2004 et 2005 de la CDD sont réservés aux thèmes de l’accès à l’eau, de l’assainissement et du logement convenable. Après quoi on n’en parlera plus (?) jusqu’en 2015 (!), le temps de faire le tour des autres chapitres du développement durable. Est-ce bien sérieux ?
Les retards s’accumulent
Précisément, que reste-t-il des volumineux mais nécessaires plans d’actions laborieusement échafaudés au fil des sommets de toutes sortes ? de cette ambition de réduire de moitié, d’ici à 2015, le nombre de gens privés aujourd’hui d’accès à l’eau potable et de services élémentaires d’assainissement ?
Réalisme oblige, le verdict sans concession politique du président de la Commission était probablement partagé, sinon ouvertement repris, par un grand nombre de délégations. Johannesburg n’a pas créé la dynamique attendue, le développement durable n’est pas (encore) une priorité, constate entre autres la délégation suisse.
Avec pour résultat que, malgré les progrès notés ici et là, les retards s’accumulent d’année en année. Selon le représentant de l’Organisation mondiale de la santé, l’augmentation de la population urbaine rend improbable la réalisation des objectifs fixés par l’ONU au début du 3e millénaire. En 2015, prédit-il, un quart de la population mondiale sera encore et toujours privé d’accès aux installations sanitaires de base.
Retour à la case départ
L’ONU se retrouve donc une fois de plus dans "un enchevêtrement de problèmes inextricables" à propos duquel Kofi Annan multiplie les mises en garde, appelant à se mettre enfin d’accord sur une vision commune. Ce qui est loin d’être le cas lorsqu’en particulier on aborde la question des relations entre secteurs public et privé.
C’est un vrai débat éthique, disent les uns. Une controverse idéologique qui fait perdre du temps, rétorquent d’autres. D’un côté, l’accès à l’eau est perçu comme une condition préalable à l’exercice des droits de l’homme. De l’autre, cette ressource naturelle représente un bien dont la gestion doit suivre les règles de l’économie.
Les PPP de la discorde
On aura donc beaucoup parlé à New York des PPP, les partenariats public privé, dont les partisans rappellent qu’ils offrent la meilleure des solutions à la gestion des ressources en eau vu que les gouvernements n’ont pas les moyens financiers de relever les défis actuels. C’est, disent certains, l’outil qui permet de conjuguer systèmes performants de gestion technologique et mécanismes novateurs de financement.
Les opposants aux PPP ne sont pas davantage en manque de paroles. Ils s’inquiètent de voir des sociétés multinationales exploiter l’eau à des fins lucratives et non pour le bien public. Ils rejettent toute idée de privatisation et de commerce de l’eau. Ils redoutent que les gouvernements se déchargent de leurs engagements sur le secteur privé.
Entre ces thèses opposées ("l’eau doit absolument rester dans les mains du service public" contre "les partenariats public privé sont la seule chance d’apporter de l’eau à ceux qui n’en ont pas"), certains avancent des idées de compromis, d’équilibre "entre le fondamentalisme du marché et le dogme des subventions", d’entente sur des projets communs, des valeurs communes et des codes de conduite.
Voilà un débat qui conforte l’opinion de ceux qui pensent que "la crise de l’eau n’est pas une véritable crise", mais qu’elle est un problème institutionnel mondial. Il faut en chercher les causes avant tout dans le manque de capacités nationales, de ressources financières, de volonté politique, de technologies adaptées, de modes de production et de consommation, etc. C’est donc une crise parfaitement évitable. Les solutions existent. Mais, comme dit Borde Brende, le monde n’est pas vraiment en train d’en prendre le chemin.
Bernard Weissbrodt
(Source : comptes rendus de presse de la Commission du développement durable, Nations Unies, New York, 13-30 avril 2004)
Liens (sites anglophones uniquement) :
– United Nations Division for Sustainable Development
– United Nations Commission on Sustainable Development