Depuis le XIXe siècle, le Rhône a assuré la prospérité industrielle et urbaine de la ville et du canton de Genève. L’usage de la force motrice via les moulins puis grâce à la distribution d’eau sous pression a soutenu le développement des manufactures genevoises et de l’industrie horlogère. La distribution d’eau sous pression à tous les étages – élément de standing déterminant pour la promotion économique des années 1870 – est aussi devenue un atout pour le développement résidentiel de la ville, tant dans le centre historique que dans les faubourgs annexés.
A partir du début du XXe siècle, l’épopée hydroélectrique et la construction de barrages au fil du Rhône permettent aux autorités publiques d’acquérir des ressources indispensables à la poursuite du développement industriel et fort intéressantes pour renflouer les budgets publics et financer les équipements collectifs (parcs, espaces publics, musées).
Après plus de deux siècles d’exploitation des potentiels énergétiques du Rhône, les années 1960 à 1990 sont marquées par la diffusion des politiques de protection de la qualité de l’eau et des milieux naturels tant au plan fédéral que cantonal. Ces nouveaux instruments d’intervention vont renforcer le niveau de protection du fleuve et de ses berges.
La promotion des nouveaux usages écosystémiques passe par des projets de renaturation, de réaménagement des berges et une régulation des débits plus respectueuse de la faune et de la flore. Le Rhône genevois devient progressivement le lieu de superposition des protections environnementales : zones humides, zones de protection de la biodiversité et réserves naturelles, zone de protection du paysage. Le Rhône permet la diffusion d’activités récréatives, il devient un espace de promenade et de détente remarquable pour les Genevois.
Au terme de ces deux grandes phases d’exploitation énergétique et de protection des écosystèmes, l’urbanisation, la ville, demeure étonnamment distante du fleuve qui l’irrigue. A l’inverse de nombreuses métropoles et capitales construites autour des fleuves, Genève a fait du Rhône un vaste jardin. Mis à part une courte section urbaine descendant du Lac Léman vers la jonction Rhône-Arve, le Rhône se transforme immédiatement en un corridor écologique, protégé de la ville environnante.
Mais à l’heure où la pression ne cesse de s’accroître sur le canton de Genève, qui manque de logements, de lieux de vie, d’espaces culturels, la problématique de l’atelier “eau et aménagement urbain” était d’évaluer dans quelle mesure cet espace peut offrir des opportunités nouvelles d’aménagement, en termes de logements et d’espaces publics. L’enjeu n’était pas d’envisager une urbanisation continue des abords du fleuve qui serait purement utopique, tournant le dos aux principes de respect des espaces naturels et peu acceptable par les habitants.
A l’inverse, les travaux menés par les étudiants de la filière urbanisme du Master en sciences de l’environnement de l’Université de Genève se sont orientés vers des projets “gagnant-gagnant” permettant de développer la ville tout en poursuivant la valorisation des berges du Rhône, en travaillant sur des friches industrielles ou des terrains qui disposent encore d’un fort potentiel de valorisation environnementale et urbaine.
Les trois projets urbains conçus par les étudiants autour du Rhône sont complémentaires. Chacun valorise des lieux remarquables mais encore délaissés : la pointe de la Jonction abritant un dépôt de transports publics bientôt déplacé, une friche industrielle à proximité du quartier de grands ensembles du Lignon, des terrains non aménagés à proximité du village de la Plaine, d’ores et déjà desservis par le RER genevois.
Les trois projets proposent des équipements indispensables aux Genevois : un espace culturel tant attendu par les habitants et les élus de tous bords, des logements pour les étudiants indispensables au développement d’une ville universitaire et un quartier pour les familles desservis par des infrastructures de transport collectif.
Enfin, ces trois projets améliorent la qualité paysagère des lieux et proposent de nouveaux points d’articulation entre la ville et le fleuve. Ils offrent de nouveaux points de vue et ouvrent des perspectives pour des usages renouvelés du fleuve – transports publics, baignade, promenade – sans modifier les périmètres de protection des espaces naturels.
Géraldine Pflieger,
Atelier La Ville et le Rhône,
avec Jérôme Chenal et Maria-Isabel Haroon