Dans sa dernière livraison, le magazine de l’Office fédéral de l’environnement s’interroge sur les scénarios d’avenir pour l’approvisionnement énergétique de la Suisse. Une occasion de rappeler que l’énergie hydraulique couvre actuellement quelque 55 % des besoins en électricité de ce pays et un peu plus de 13 % de l’ensemble de ses besoins énergétiques.
Mais qu’adviendra-t-il, dans deux ou trois décennies, de ce potentiel de force bleue, compte tenu de la nécessité de sauvegarder les paysages et les écosystèmes aquatiques et de faire face aux risques et incertitudes des changements climatiques ? Et quelles réponses apporter dès aujourd’hui à ces différents enjeux ?
On se souvient qu’il y a trois ans la Fédération suisse de pêche et différentes organisations écologistes avaient récolté pas moins de 160’000 signatures à l’appui de l’initiative populaire “Eaux vivantes”. Celle-ci réclame la renaturation des cours d’eau perturbés par de nombreux aménagements urbains et industriels, mais aussi le respect par les exploitants de centrales hydroélectriques des normes légales qui définissent les débits d’eau à l’aval de ces installations.
Cette initiative n’avait pas convaincu le gouvernement fédéral qui estime qu’elle pénaliserait la production d’énergie hydraulique et mettrait en danger la sécurité de l’approvisionnement national en électricité. Mais l’idée de chercher un meilleur équilibre entre les impératifs de la protection des eaux et ceux de leur exploitation à des fins énergétiques a tout de même fini par trouver quelques échos favorables au sein du Parlement. Un contre-projet est en train d’y être élaboré.
Aujourd’hui, rappelle le magazine « Environnement », la Suisse exploite la presque totalité des cours d’eau potentiellement utiles à la production d’électricité. Non sans graves conséquences écologiques : les barrages morcèlent les habitats des espèces aquatiques et entravent leurs migrations saisonnières, modifient le système de charriage des sédiments, provoquent d’importantes variations des débits d’eau en fonction de la demande d’électricité.
Certes, la loi sur la protection des eaux en vigueur depuis 1992 exige des débits résiduels convenables. Mais ces dispositions ne concernent les centrales électriques qu’à partir du moment où elles renouvellent leur concession. Ce qui, pour certaines d’entre elles, renvoie carrément aux calendes grecques la mise en œuvre de ces normes qui, si elles étaient appliquées, entraîneraient dit-on une baisse de 6 à 7 % de la production hydroélectrique.
Les incertitudes sur l’évolution du climat n’arrangent pas non plus les affaires des électriciens qui s’inquiètent des pronostics météorologiques à long terme, lesquels font certes état d’une hausse des précipitations en hiver mais aussi des sécheresses en été. Selon des études menées dans les laboratoires de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, cette modification du régime des précipitations aurait pour conséquence, d’ici au milieu du siècle, de faire également reculer la production hydroélectrique de quelque 7 pour cent.
Face à ces contraintes écologiques et climatiques et aux déficits énergétiques qu’elles induisent, un défi s’impose : produire plus avec moins d’eau. On souligne, du côté de l’Office fédéral de l’environnement, que l’efficacité des usines hydroélectriques peut être fortement augmentée. Soit par l’optimisation et l’extension des installations existantes, soit par la construction de nouvelles centrales offrant le meilleur taux possible de rentabilité. En clair : cela voudrait dire qu’il est possible dans les deux décennies à venir d’accroître la production annuelle d’énergie hydraulique de quelque deux milliards de kilowattheures, soit environ 6 à 7% de plus qu’en l’an 2000.
On est sur la bonne voie, assure-t-on à Berne. La célèbre petite phrase prononcée il y a plus d’un siècle par le banquier et politicien bâlois Carl Koechlin est toujours d’actualité : « Nous devrions parvenir un jour à ce qu’aucun ruisseau ne descende des montagnes sans profiter au bien-être national ». Encore faut-il s’entendre sur ce que bien-être veut dire en termes de développement durable.
Bernard Weissbrodt
– L’article de Hansjakob Baumgartner : « Force hydraulique : Les limites de l’or bleu », paru dans le magazine Environnement (02/2009), est disponible sur le site de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV)