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15 mars 2023.

POINT (D’EAU) FINAL

ÉPILOGUE

Après vingt années dédiées à l’actualité de l’eau douce en Suisse et au-delà, c’est ici que prend fin le périple du site aqueduc.info. Désormais les pages de ce canal d’informations sur cette ressource vitale ne seront plus alimentées mais il sera encore possible de consulter l’intégralité des articles mis en ligne au fil de ces deux décennies. Reste ce défi : comment faire en sorte que personne ne soit privé de ce bien commun irremplaçable et que la nature y trouve son compte elle aussi ?

Un aqueduc, quels que soient son débit, son tracé rectiligne ou sinueux et sa longueur, a un point de départ, sa prise d’eau, et un point d’arrivée, son système de distribution aux usagers. À l’image de tous les flux d’eau qui dès leur naissance coulent irrévocablement vers un horizon maritime plus ou moins lointain, à moins très rarement que ça ne soit vers un delta désertique ou une perte souterraine, il était indubitable, il y a vingt ans déjà, qu’aqueduc.info avait une espérance de vie limitée.

J’avais en son temps exploré une partie de l’aqueduc romain de Nîmes, salué son ancien captage à la Fontaine d’Eure à Uzès, repéré l’un ou l’autre de ses vestiges perdus dans la garrigue, contemplé bien sûr le prestigieux et ineffable Pont du Gard, et découvert ce qu’il reste du castellum divisorium, ce bassin de distribution qui jadis approvisionnait en eau les habitants de la colonie romaine. C’est cette construction terminale qui me revient en mémoire au moment de clore deux décennies passées à relayer un flot d’informations sur une ressource trop longtemps malmenée, maltraitée, gaspillée.

Vestiges du castellum divisorium construit à Nîmes (Nemausus) au milieu du 1er siècle après J.C. C’est à ce bassin de distribution d’eau taillé dans le rocher (5,90 m de diamètre pour 1,40 m de profondeur) qu’aboutissait l’aqueduc de Nîmes après un parcours de quelque 50 km depuis le captage de la fontaine d’Eure à Uzès en passant par le célèbre Pont du Gard. L’eau était distribuée dans les quartiers de la colonie romaine par le biais de canalisations en plomb reliées aux 10 orifices de 40 cm de diamètre visibles sur le mur du bassin.
(photo aqueduc.info / Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Durant toutes ces années, j’ai tenté de me faire l’écho des valeurs fondamentales auxquelles renvoyaient les aqueducs du temps jadis, c’est-à-dire la protection et la gestion d’un bien commun irremplaçable et d’une “chose publique” (“res publica”, disaient les Romains) qui exclut toute forme d’appropriation et de marchandisation de l’eau, et qui pour sa préservation postule la responsabilité de toutes et de tous, de chacune et de chacun.

L’aqueduc est porteur d’une puissante symbolique : il apporte à la nature et à tous les vivants une ressource irremplaçable. Il signifie le partage, reliant un amont et un aval, parfois un bassin versant à un autre. Il met en valeur le savoir-faire des métiers de l’eau. Il témoigne d’un patrimoine social et culturel qu’on aurait vraiment tort d’oublier. Et, dans le même mouvement, il est une invitation à se préoccuper de l’héritage qu’on laissera aux générations futures.

Entre la première des lettres aqueduc.info, au printemps 2003, et la dernière, vingt ans plus tard, les préoccupations autour de l’eau ont pris de l’ampleur et ne sont plus l’apanage des seuls spécialistes. Les opinions publiques, le monde de la jeunesse en particulier, scrutent le réchauffement climatique ainsi que la fonte des glaciers et s’interrogent sur la disponibilité future de la ressource comme sur la nécessité de repenser les usages qu’on en fait. Les questions se multiplient également autour de la dégradation des écosystèmes aquatiques par une profusion de substances chimiques, résidus en tous genres, micropolluants, plastiques et autres déchets dont on ne connaît pas toujours la dangerosité et qui mettent en péril l’approvisionnement en eau potable.

Au fil des ans, aqueduc.info s’est largement fait l’écho de quelques-unes des études scientifiques les plus probantes non pas seulement pour alerter sur les dangers et sur les risques pointés du doigt par des chercheurs et chercheuses sur la base de leurs propres constats, mais aussi pour mettre en évidence les réponses et les solutions qu’ils et elles proposent, avec la certitude qu’il est possible de relever les défis actuels et futurs de la gestion de l’eau comme le démontrent les multiples innovations constamment mises en œuvre par les fontainiers, techniciens, ingénieurs, gestionnaires et autres professionnels de l’eau.

Quoi qu’on en dise, le plus impératif des paris planétaires qui doit être relevé et qui n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante est celui des inégalités et des injustices en matière d’accès à l’eau. Quand bien même des efforts indéniables ont permis en deux décennies de faire en sorte que des centaines de millions de personnes bénéficient enfin d’une eau potable, salubre et propre, quand bien même les Nations Unies ont reconnu en 2010 que c’est un droit humain fondamental, cet impératif reste largement lettre morte pour deux milliards de personnes. Et le diagnostic posé en 2006 déjà par le Rapport mondial sur le développement humain est hélas toujours d’actualité : “En ce qui concerne l’eau et l’assainissement, le monde souffre d’un excédent de conférences et d’un manque d’action crédible”. Un constat que l’on peut faire aussi à propos de la maîtrise du changement climatique et de la protection de la biodiversité.

Soyons francs. De l’eau, on parle seulement quand il y en a trop (les inondations) ou quand il n’y en a pas assez (les sécheresses). La plupart du temps, ce n’est pas un vrai sujet de conversation. Pourtant, avec le temps, j’ai acquis la certitude que c’est un thème sur lequel chacune et chacun a quelque chose à dire, pour la simple et bonne raison que c’est un bien absolument vital dont nous dépendons toutes et tous au quotidien. Quand on vit dans un pays qui, dit-on, “a le privilège de disposer d’abondantes ressources en eau”, on n’a pas forcément conscience des enjeux de toutes sortes qui tournent autour de cet élément naturel et de ses usages. Et c’était donc l’une des ambitions de départ d’aqueduc.info que d’y rendre son lectorat davantage attentif.

En ce qui me concerne, le moment est venu (pour diverses raisons qu’il n’est pas utile de détailler ici) de cesser d’alimenter ce canal personnel d’informations sur l’eau. Il y a un temps pour tout, dit la sagesse populaire, et ce n’est pas l’arrêt de cet aqueduc virtuel qui empêchera l’eau de couler sous les ponts (quoique… on ne sait pas vraiment ce que nous réservent les changements climatiques…) et dans nos robinets (quoique… puisqu’on ne peut exclure l’hypothèse de coupures d’électricité…). Le site aqueduc.info restera néanmoins ouvert et disponible, car il contient nombre d’informations qui resteront utiles et pertinentes, voire d’actualité, quelque temps encore.

Histoire de laisser une trace tangible, un cahier (cliquer sur l’image ci-contre pour le télécharger) propose des extraits d’une centaine des quelque 2600 articles mis en ligne entre 2003 et 2023 et regroupés dans une quinzaine de sous-titres. Leur choix est tout-à-fait arbitraire. Plutôt que de suivre un ordre chronologique qui aurait sans doute permis de voir dans quelle mesure l’intérêt pour les questions autour de l’eau a évolué au fil des années, j’ai préféré procéder par petites touches, à la manière des peintres pointillistes : pour révéler leurs perceptions tout à fait personnelles d’un paysage, ils juxtaposaient de petites taches de couleurs qui finissaient par se mêler dans le regard du spectateur, lui suggérant ainsi une impression d’ensemble qui lui avait échappé au premier abord. Ces points de repères n’ont pas d’autre prétention que d’attirer l’attention sur l’extrême diversité et complexité des thématiques de l’eau.

À toutes celles et tous ceux qui m’ont accompagné et encouragé tout au long de ce captivant périple, qui ont régulièrement consulté aqueduc.info et fidèlement ouvert ses infolettres, j’aimerais dire ici ma sincère gratitude. À Cécile, ma compagne, pour son infatigable et minutieuse relecture de mes textes, à Alain Gualina pour ses photographies qui ont rythmé les rubriques du site et à Bernard Capo-Chichi pour ses innombrables histoires d’eaux béninoises. Aux professionnels, experts, chercheurs et autres passionnés de l’eau que j’ai consultés et qui en retour m’ont fait bénéficier de leurs compétences et de leur amical soutien. Et en particulier au Service de l’eau de la Ville de Lausanne, à l’association des distributeurs d’eau romands, au Salon Aqua Pro de Bulle, au service des médias de l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau (Eawag), à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne et à l’association Mémoires du Rhône pour leur amicale disponibilité dans ma quête d’informations et d’explications.

C’est à Jean Giono que je laisserai le mot de la fin, lui qui parmi ses amis de Haute-Provence comptait un habile fontainier. “Je le vois, raconte l’écrivain. Il était devant moi avec sa pauvre main d’homme des fontaines, sa main usée d’eau, une main déjà toute lyrique rien que dans cet affûtage de l’eau, une main pointue, aimable, molle et de peau fine comme une main d’amoureux. Il la dressait devant moi. Il l’ouvrait, creuse comme un petit bassin de pierre taillé goutte à goutte par la source. Il l’ouvrait : tu la gardes… Et puis soudain, il la serrait en nœud de rocher : tu la perds…”

Bernard Weissbrodt
Genève, mars 2023

“L’aqueduc des Miracles” fait partie de l’ensemble archéologique espagnol de Mérida, en Estrémadure. Il a été construit dans la seconde moitié du 1er siècle avant J.-C. pour approvisionner en eau la colonie romaine d’Emerita Augusta. Il a sans doute rempli ce rôle durant trois siècles au moins.
(photo Water Alternatives / Lorenzo Vallès / Cliquer sur l’image pour l’agrandir)




Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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