En deux décennies, de l’an 2000 à 2020, deux milliards de personnes ont pu enfin, elles aussi, accéder à des services d’eau potable gérés en toute sécurité. Alors qu’au début du siècle 62 % seulement de la population mondiale y avaient effectivement droit, cette proportion est aujourd’hui passée à 74 %. Malgré ces progrès indéniables, constatent l’OMS, l’Unicef et la Banque mondiale dans un nouveau rapport commun qui appelle à des investissements supplémentaires, il subsiste de grandes disparités géographiques et sociales. Et, surtout, 2 milliards de personnes sont encore et toujours privées de manière sûre de l’accès à cette ressource vitale.
"Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau" est l’une des ambitions prioritaires des dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU pour l’horizon 2030. Si l’on en croit le nouveau rapport sur la situation de l’eau potable dans le monde que publient conjointement l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) et la Banque mondiale [1], les investissements dans les services d’eau potable au cours des deux dernières décennies ont permis d’améliorer considérablement l’accès des populations à cette ressource. Mais le monde est loin d’être sur la bonne voie pour atteindre les objectifs fixés par l’ONU. Pour plusieurs raisons : les impacts toujours plus importants du changement climatique, les conflits d’usage entre les besoins en eau de l’agriculture et ceux de l’écologie, la concurrence des autres priorités financières et les pollutions en tous genres qui péjorent la qualité de l’eau.
Où en est-on aujourd’hui ?
Sans entrer dans les détails du rapport, on relèvera quelques-unes des données qui permettent de se faire une idée un peu plus précise de la situation mondiale concernant l’accès à l’eau potable :
– La région où la couverture des services d’eau potable gérés en toute sécurité est la plus faible est l’Afrique subsaharienne, avec seulement 30 %, et aucune des régions directement concernées par les objectifs de développement durable n’est en voie de réaliser l’accès universel à des services d’eau potable gérés de manière sûre d’ici 2030.
– Il existe de graves inégalités entre les zones urbaines et rurales. Au niveau mondial, la couverture des services d’eau potable gérés en toute sécurité n’était que de 60 % dans les zones rurales en 2020, contre 86 % dans les zones urbaines.
– En 2021, 546 millions d’enfants ne disposaient pas d’un service d’eau potable de base dans leur école, dont 288 millions fréquentent une école sans service d’eau potable. La couverture la plus faible des services d’eau de base dans les écoles était de 46 % en Afrique subsaharienne.
– En 2021, 1,7 milliard de personnes dans le monde ne disposaient pas d’un service d’eau potable de base dans leur établissement de soins, dont 857 millions dans des centres de santé ne disposant d’aucun service d’eau. En général, les services d’eau potable sont moins bons dans les établissements de soins ruraux que dans les établissements urbains, dans les établissements publics que dans les établissements privés et dans les petits centres de soins que dans les hôpitaux.
– On dispose de beaucoup moins de données pour évaluer la qualité de l’eau mais on estime que près de deux milliards de personnes boivent aujourd’hui de l’eau contaminée. Le risque sanitaire le plus courant et le plus répandu associé à l’eau de boisson est la contamination par des agents pathogènes microbiens transmis par les matières fécales. Il existe aussi des cas de contamination chimique : des substances comme l’arsenic et le fluorure sont assez répandues naturellement dans les ressources en eau potable et causent de graves problèmes de santé.
– Les effets du changement climatique ont des répercussions importantes sur l’accès à l’eau potable et représentent une menace pour les progrès réalisés ces dernières années. Les experts estiment qu’environ 4 milliards de personnes sur les 7,8 milliards que compte la planète connaissent une grave pénurie d’eau durant au moins un mois par an.
– Le coût d’investissement total de l’accès universel a été estimé à 37,6 milliards de dollars par an entre 2015 et 2030, soit un total de 564 milliards de dollars, si tous les utilisateurs passaient directement à des services d’eau potable gérés en toute sécurité.
Il faudrait quatre fois plus d’investissements
Le message qui suit ces constats est on ne peut plus clair : les gouvernements et leurs partenaires doivent augmenter considérablement l’engagement politique en faveur de l’eau potable et quadrupler les investissements. "Investir dans l’eau et l’assainissement est essentiel pour la santé, la croissance économique et l’environnement", commente Saroj Kumar Jha, directeur du groupe de la Banque mondiale sur les pratiques liées à l’eau. "Les gouvernements et le secteur privé doivent prendre dès maintenant des mesures cruciales pour accélérer la mise en place de services d’approvisionnement en eau et d’assainissement inclusifs et durables dans les zones urbaines et rurales". Le rapport se veut concret et fournit une liste de recommandations qui se résument ainsi :
– Renforcer les institutions existantes en comblant les lacunes, en facilitant la coordination, en établissant un environnement réglementaire soutenu par une législation et des normes de qualité de service, et en assurant l’application de la loi.
– Augmenter considérablement le financement de toutes les sources, les fournisseurs de services d’eau améliorant leur efficacité et leurs performances, et les pouvoirs publics fournissant un environnement administratif, réglementaire et politique stable et transparent.
– Renforcer les capacités du secteur de l’eau en développant une main d’œuvre compétente et motivée grâce à une série d’approches de développement des capacités basées sur l’innovation et la collaboration.
– Veiller à ce que les données et les informations pertinentes soient disponibles pour mieux comprendre les inégalités dans les services d’eau potable et prendre des décisions fondées sur des preuves.
– Encourager l’innovation et l’expérimentation par une politique et une réglementation gouvernementales favorables, accompagnées d’un suivi et d’une évaluation rigoureux.
« L’amélioration de l’accès à l’eau potable a permis de sauver de nombreuses vies, dont la plupart sont des enfants. Mais le changement climatique est en train d’effacer ces acquis Nous devons accélérer nos efforts pour que chaque personne ait un accès fiable à l’eau potable, ce qui est un droit humain et non un luxe. »
Dr Maria Neira, OMS, directrice du département
Environnement, changement climatique et santé.