Le postulat déposé devant le Parlement cantonal par la députée suppléante Véronique Jenelten-Biollaz, par ailleurs vice-présidente du Colloque, concluait, compte tenu de l’importance incontestable et inestimable du capital environnemental, culturel et paysager des bisses, que "le Valais se doit d’avoir l’ambition de présenter un jour sa candidature pour [leur] inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, comme le canton de Vaud l’a fait pour le vignoble en terrasses de Lavaux".
Président du Colloque et directeur de l’Institut de géographie de l’Université de Lausanne, Emmanuel Reynard met en évidence trois des principaux atouts des bisses valaisans dans une telle démarche :
– Seuls trois systèmes d’irrigation (voir ci-contre) figurent sur la liste des biens déjà inscrits au Patrimoine mondial et aucun des trois ne concerne des infrastructures de montagne : l’inscription des bisses présenterait donc un caractère de nouveauté.
– Par rapport à d’autres systèmes d’irrigation de montagne ailleurs dans le monde, les bisses valaisans ont ceci de particulier et d’original qu’ils accordent une très grande importance aux structures hydrauliques en bois
– Les consortages valaisans, c’est-à-dire le modèle toujours existant d’institution sociale et politique chargée de la gestion des réseaux d’irrigation, participent à la valeur patrimoniale des bisses. De ce point de vue, il n’est pas inutile de noter l’existence d’une très riche collection iconographique et d’archives encore largement inexploitées.
Au chapitre des difficultés auxquelles pourrait se heurter le projet, il est noté entre autres que les bisses se répartissent sur différents sites, ce qui impliquera, préalablement à toute candidature, une mise en réseau de tous les acteurs concernés. Un premier pas devrait être fait dans ce sens dès le mois d’octobre avec la création d’une Association valaisanne des bisses.
Des convictions et des réserves, des propositions et encore bien des interrogations…
Plus qu’à un débat d’idées ou à une confrontation de points de vue, la table-ronde organisée dans le cadre du Colloque a davantage donné lieu à une juxtaposition de certitudes et de doutes, de suggestions et de questions auxquelles il paraît difficile pour l’instant de donner suite. Bref, des informations en tous genres dont quelques-unes notées ici en vrac et de façon non exhaustive :
– La Suisse n’ouvrira pas de nouvelle et hypothétique liste indicative d’inscriptions au Patrimoine mondial avant 2014, parce que, d’une part, elle est actuellement membre du comité de cette institution et ne peut donc pas se montrer juge et partie, et qu’elle estime, d’autre part, avoir inventorié tous les sites suisses pouvant répondre au critère de "valeur universelle exceptionnelle".
– L’Europe est sur-représentée dans l’inventaire mondial des biens culturels et il faut s’attendre, au niveau international, à des arguments d’ordre politique qui risquent de faire obstacle à de nouvelles candidatures venues du Vieux Continent
– Peut-être conviendrait-il d’élargir le cadre du projet, ce qui impliquerait, soit un ralliement au site déjà reconnu des "Alpes Suisses Jungfrau Aletsch" auquel le Valais est associé, soit - comme c’est le cas des sites palafittiques - une candidature commune avec d’autres pays de l’arc alpin connaissant des pratiques similaires d’irrigation de montagne.
– En Valais, l’eau est considérée comme un bien commun et c’est là un argument à faire valoir, car il met en évidence les possibilités de gérer cette ressource autrement que sous le contrôle direct de l’État ou que sous l’emprise du marché privé.
- Il faut respecter à tout prix le fait que les bisses ne sont pas un objet "bling-bling" mais un véritable instrument agricole. Une candidature qui ne prendrait pas en compte les pratiques des "bisses d’en-bas" n’aurait pas de sens et serait sans doute contre-productive.
– Il ne faut pas oublier non plus la dimension sociale de ce patrimoine. Mais cette spécificité régionale réclame des efforts d’explication et des outils didactiques. De ce point de vue, les accompagnateurs de moyenne montagne semblent avoir une vocation particulière à faire découvrir cette richesse.
– L’important, dans ce projet, ne serait pas l’inscription au Patrimoine mondial, mais le processus qu’il déclenche et qui appelle tous ses acteurs potentiels à faire œuvre commune autour des bisses, qu’il s’agisse d’en faire un inventaire précis, de leur conférer un nouveau statut ou de mieux les intégrer dans les différents secteurs de la gestion publique.
– L’objectif de l’Unesco, à travers la liste du Patrimoine mondial, n’est certes pas de promouvoir le marketing touristique. Mais l’entretien des bisses et leur mise en valeur ont forcément un coût. Pourquoi, dès lors, ne pas faire participer financièrement leurs visiteurs aux investissements consentis par les collectivités ?
– Enfin il importe d’étoffer le dossier des bisses en y associant plus étroitement encore le monde scientifique et les chercheurs de toutes disciplines, ce qui est l’une des raisons d’être du Colloque, et en faisant appel à des regards extérieurs. Dans ce sens, pourquoi ne pas demander, sur cette candidature, l’avis d’experts étrangers ? (bw)
P.S. Alors même que se tenait le Colloque sur les bisses, l’Office fédéral de la culture a annoncé à Berne le lancement d’un projet de liste des traditions vivantes de Suisse, telles que la musique, les coutumes ou les techniques artisanales, avec, pour objectif, de valoriser, soutenir et développer le patrimoine culturel immatériel. Le contenu de cette liste est du ressort des cantons et la Confédération publiera les premières inscriptions dès 2010. Le public est invité à faire part de ses suggestions via le site www.lebendige-traditionen.ch.