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5 septembre 2010.

“Auals” grisons et “rus” valdotains

Le Valais n’a pas le monopole des canaux d’irrigation de (...)

Le Valais n’a pas le monopole des canaux d’irrigation de montagne. Dans l’arc alpin, sans parler du reste du monde, on les a utilisés pendant des siècles, et certains servent encore, pour l’arrosage des prairies et des cultures. C’est le cas, à l’extrême est de la Suisse, dans le Val Müstair (Canton des Grisons) où la pluviométrie est l’une des plus faibles du pays et où ces systèmes hydrauliques portent, en romanche, le nom de "auals" (eau : "aua"). Plus près du Valais, la Vallée d’Aoste, au nord de l’Italie, comptait au début du siècle passé quelque 1’700 "rus", transposition franco-provençale et locale des bisses. Petit tour d’horizon de préoccupations proches des situations valaisannes.



LES “AUALS” DU VAL MÜSTAIR


Dans le Val Müstair, un territoire de quelque 200 km2 intégré depuis l’été 2010 dans le Parc national suisse, les auals ont été utilisés pendant des siècles pour garantir de bonnes récoltes. L’eau, amenée vers les prairies parfois sur de longues distances, était captée dans la principale rivière de la vallée, le Rom (petit affluent du bassin de l’Adige), ou alors dans de petits cours d’eaux adjacents.

Les auals servaient à l’arrosage des prés, certes, mais aussi au drainage des terres, à la production d’électricité dans des fermes isolées ou encore à la transformation du lin cultivé dans la vallée. Ils jouaient également un grand rôle de protection écologique dans les forêts et sur les pentes sèches. Dans les années 1970, lorsque les agriculteurs ont commencé à pratiquer l’arrosage par aspersion, les petits canaux ont rapidement perdu de leur importance et n’ont plus été entretenus.

Aujourd’hui, les auals, comme les bisses, font le bonheur des amateurs de randonnée qui empruntent leurs berges. Et qui, parfois, sans même s’en rendre compte, parcourent des sentiers qui ont été aménagés directement sur d’anciennes canalisations asséchées. Qu’ils n’aient plus d’eau ou qu’ils soient encore utilisés pour le drainage, les auals réclament toujours de l’entretien. Il est arrivé plusieurs fois, dans le passé, que l’eau s’accumule dans ces petits fossés et provoque des glissements de terrain. Il faut donc, chaque printemps, les curer soigneusement. Ce qui entraîne des coûts, et des questions, comme celle de savoir s’il ne serait pas opportun d’inviter les randonneurs à s’acquitter eux aussi d’une participation aux frais de leur maintenance. Après tout, changer les usages des auals implique une réflexion sur la façon d’en partager les responsabilités.

Texte (traduit et adapté) et photos :
Jörg Clavadetscher,
forestier dans le Val Müstair

 Site officiel du Val Müstair



LES “RUS” DE LA VALLÉE D’AOSTE


Dès le Moyen-Âge, le vaste et complexe système d’irrigation en Vallée d’Aoste a joué un rôle primordial dans l’économie rurale et le développement de la population confrontée aux difficultés de la vie en milieu montagnard. Dans une économie de subsistance de type fermé et autosuffisant, le rôle de tous les membres de la famille était fort important. Ceux-ci étaient obligés de tirer de la terre les ressources pour survivre, non seulement pour eux, mais aussi pour la classe dominante. À l’époque du Duché d’Aoste, les seigneurs locaux octroyaient en effet aux communautés rurales les autorisations de dériver l’eau d’un torrent pour l’amener dans les zones cultivées. En échange, les vassaux devaient s’acquitter d’une taxe initiale et d’impôts annuels supplémentaires redevables selon des modalités précises.

À la fin du 13e siècle, une période prolongée de sécheresse et une forte augmentation de population ont nécessité l’accroissement de la production agricole. Ce qui ne pouvait se faire qu’en augmentant la surface cultivable des terres par le déboisement et en développant une agriculture plus rentable basée sur l’irrigation. Celle-ci était assurée par un réseau de rus principaux et secondaires de plus en plus petits sillonnant les cultures afin d’obtenir une distribution capillaire de l’eau. À l’époque de la reconnaissance des droits de dérivation de l’eau, dans les années 1920-30, plus de 1’700 canaux d’irrigation étaient répertoriés sous une appellation propre. On estime qu’aujourd’hui plus d’un tiers est encore utilisé à des fins agricoles.

Jadis, pour la gestion des ressources naturelles et des biens d’utilité publique, les communautés rurales avaient institué un système de travaux collectifs. Ce sont ces corvées qui ont permis de maintenir la fonctionnalité hydraulique des rus pendant des siècles et de les maintenir jusqu’à la fin de la 2e guerre mondiale dans un état de conservation quasi totale. Aujourd’hui ces pratiques sont fortement à la baisse, pour diverses raisons, parmi lesquelles la disparition de nombreuses entreprises agricoles, ce qui implique de recourir fréquemment à des entreprises spécialisées pour garantir le fonctionnement des réseaux d’irrigation.

En 1984 une loi a ouvert la porte à la création de consortiums d’amélioration foncière bénéficiant de fortes subventions pour l’aménagement notamment d’aqueducs, de canaux d’irrigation et de systèmes d’aspersion pour l’amélioration des prairies de fauche et des pâturages. Plus tard, le Plan de développement rural 2000-2006 a pris davantage en compte les questions concernant la défense du milieu naturel, le maintien du patrimoine environnemental, l’adoption de pratiques agricoles éco-compatibles, la gestion des ressources hydriques dans l’agriculture et l’exploitation du territoire rural à des fins touristiques.

Texte (résumé et adapté) et photos :
Giovanni Vauterin,
Région Autonome Vallée d’Aoste




Infos complémentaires

On peut voir encore, aux portes de la Vieille Ville de Briançon le canal Gaillard qui alimentait les gargouilles traversant la cité de haut en bas, petites canalisations aménagées à même le pavé pour lutter contre les incendies (photos extraites du site de la SGMB, avec son aimable autorisation)



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COLLOQUE INTERNATIONAL
SUR LES BISSES - 2010

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(22 pages)
COLLOQUE BISSES 2010 dossier aqueduc.info




:: LES CANAUX D’IRRIGATION DU BRIANÇONNAIS

Dans les Hautes-Alpes françaises, le Briançonnais dispose d’un réseau de canaux à ciel ouvert, creusés pour la plupart au 14e siècle et qui ont perduré malgré les grandes mutations, entre autres touristiques, qui ont profondément modifié le paysage et les modes de vie de la région. Cette longévité est redevable aux associations qui ont assuré leur maintenance et qui portent aujourd’hui le label juridique français d’associations syndicales autorisées.

Dans la vallée, arrosée par la Guisane venue du Lautaret, la poursuite de la pratique de l’arrosage par irrigation gravitaire plutôt que par aspersion s’explique par le faible rôle qu’y joue désormais l’agriculture. Comme en d’autres régions alpines, c’est en été, lorsque les cultures ont besoin d’eau, que les précipitations sont les plus faibles.

D’où le réseau de canaux à ciel ouvert construits dès le Moyen Âge, comprenant quatre canaux porteurs de grande taille (le Briançonnais en compte quelque 120 kilomètres) se ramifiant en "peyras" puis en "filioles" dont le cours est dévié, comme en Valais. Le tout est ponctué d’aménagements de gestion fort divers, qui vont de l’ouvrage d’art à la grande débrouille.

Restent les nombreux autres usages souvent méconnus des canaux : alimentation des abreuvoirs pour le bétail, pisciculture, recharge des nappes phréatiques, conservation des paysages, régulation des eaux de ruissellement, etc.

Les berges des canaux, qui offrent des voies de communication appréciées en raison de leur faible déclivité, sont à présent largement utilisées par les promeneurs et les joggers, mais aussi par les amateurs de VTT et de motos tous terrains, ce qui crée de plus en plus d’incompréhensions, de mésententes, voire de véritables conflits d’usages entre le grand public et les associations (les berges leur appartiennent) pour qui cette situation du "aux uns les plaisirs, aux autres les corvées d’entretien" est devenue intolérable.

Le "jardin des canaux" créé par la SGMB pour l’information du grand public

La Société Géologique et Minière du Briançonnais (SGMB) - qui s’intéresse de près à ce patrimoine depuis une vingtaine d’années et dont le président, Raymond Lestournelle, est venu au Colloque pour présenter quelques-uns des défis qu’elle tente de relever - s’est donc lancée dans diverses activités d’information, de sensibilisation et de concertation sur les canaux et leur gestion. En plus des outils habituels en la matière - publications, expositions, prospectus, tables-rondes, etc. - elle a créé en 1996 un "jardin des canaux" (photo ci-dessus), expliquant les techniques d’irrigation utilisées dans la région et proposant des exemples de "cultures oubliées", telles les lentilles ou le chanvre textile. De quoi donner concrètement de l’élan à la réhabilitation des canaux du Briançonnais.

 Pour en savoir plus, voir le site de la Société Géologique et Minière du Briançonnais (SGMB)

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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