Au point de départ des réflexions sur les problèmes de gouvernance durable de l’eau tels qu’ils sont présentés dans la synthèse thématique 4 du PNR 61 (*), trois questions-clés :
- Comment organiser au mieux la gestion de l’eau et des conflits d’utilisation et d’intérêts relatifs à l’eau ?
- Quels sont les instruments de gestion et les règles nécessaires, de quelles structures institutionnelles avons-nous besoin ?
- Comment réaliser un travail de coopération des plus efficaces au-delà des frontières spatiales et sectorielles ainsi que des niveaux institutionnels ?
Des failles et des défis
Les études menées par différents chercheurs sur "l’économie des eaux aujourd’hui en Suisse" font apparaître un certain nombre de failles dans le système actuel de gouvernance et de défis auxquels il devra faire face compte tenu des évolutions climatiques et socio-économiques :
– Un premier constat porte sur la fragmentation des compétences, des tâches et des responsabilités : que ce soit d’un point de vue horizontal (entre les communes), vertical (entre les communes, les cantons et la Confédération) ou sectoriel (distribution, assainissement, protection, énergie, etc.), la gestion des eaux est "souvent organisée de manière décentralisée et à petite échelle, sans visions directrices sur le long terme". Cela débouche sur un type de gouvernance subsidiaire et décentralisée, fidèle au modèle fédéraliste cher à la Suisse et par certains côtés bien adaptée aux situations locales (s’y ajoutent aussi parfois des droits d’usage traditionnels, tels les consortages valaisans d’irrigation). Il en ressort de fait une multiplicité d’interfaces, de conflits d’intérêts et de coûts élevés de coordination lorsque celle-ci apparaît nécessaire. Dans de telles conditions, il apparaît souvent difficile de développer des visions et des stratégies adéquates.
– La législation, en matière de gestion des eaux, est elle aussi complexe : les exemples passés sous la loupe des experts montrent bien la difficulté de concilier la diversité des dispositifs légaux selon qu’ils relèvent de l’État fédéral, des cantons, des communes, des bourgeoisies, de contrats de concessions (dans le cas des concessions d’entreprises hydroélectriques par exemple). Sur le terrain, constate le rapport de synthèse, "ce système complexe de droits d’eau fonctionne généralement bien. En présence d’intérêts différents et en partie contradictoires, il est toutefois difficile de mettre en place une approche commune propice au développement durable". En d’autres mots, la multiplicité des réglementations et des intervenants "agit comme un frein sur les adaptations de la gouvernance".
– Le doigt est mis enfin sur l’absence de vision et d’intégration à l’échelle régionale : il faut en effet déployer de plus en plus d’efforts pour gérer et résoudre les conflits survenant le long d’un cours d’eau ou entre riverains d’amont et d’aval, entre services d’eau potable et agriculteurs ou entre producteurs d’énergie hydraulique et pêcheurs. On ne pourra pas, à l’avenir, faire l’économie d’une prise en compte globale de tous les aspects de la protection, de la gestion et de l’utilisation des ressources en eau : "la gouvernance de l’eau doit être organisée de manière à prendre en compte ces développements".
Quatre clés pour une bonne gouvernance de l’eau
Les chercheurs ont identifié quatre critères considérés comme des éléments essentiels de la gouvernance durable de l’eau :
- l’intégration : pour remédier à la fragmentation constatée plus haut, il importe de promouvoir la coordination entre les différents secteurs concernés, niveaux de pouvoir et territoires concernés ;
- la clarté et le bon fonctionnement des structures et des processus (en particulier des mécanismes efficaces de résolution des conflits) ;
- la participation, c’est-à-dire faire en sorte que tous les acteurs concernés soient associés aux processus de planification et de décision, et que ces processus soient systématiques et transparents ;
- le renforcement de la capacité d’adaptation : cela implique une dotation suffisante de ressources humaines et financières, un accès adéquat aux nouvelles connaissances et technologies, ainsi que la capacité d’apprentissage et de coopération de tous les acteurs.
Il ne s’agit pas, dans la mise en œuvre de ces processus, de procéder à une réorganisation centralisée de l’économie des eaux, ni d’attendre simplement que les collectivités locales prennent elles-mêmes des initiatives. Ce qu’il faut, lit-on dans le document de synthèse sur cette thématique de la gouvernance, "c’est plutôt des directives, des sollicitations et des activités provenant ’d’en haut’, c’est-à-dire de la Confédération et des cantons – axées sur les problèmes spécifiques à chaque zone – qui permettront le développement d’optimisations régionales et locales".
La conclusion de ces recherches s’impose d’elle-même : les enjeux futurs d’une gestion durable de l’eau appellent à la fois une synergie efficace de tous les acteurs – décideurs et techniciens, usagers et citoyens – et la mise en place de réglementations et de structures souples et adaptées à la mesure des défis annoncés. Tout cela prendra certainement beaucoup de temps. Une bonne raison – ce sont les derniers mots des synthèses du PNR 61 – "de s’y atteler rapidement". (bw)
(*) PNR 61, Synthèse thématique 4, "Gouvernance durable de l’eau – Enjeux et voies pour l’avenir", rédigée par Franziska Schmid, Felix Walter, Flurina Schneider et Stephan Rist. Ce document, dont s’inspire largement le présent article, est disponible en téléchargement sur le site pnr61.ch