La nappe souterraine du Genevois : un modèle de gestion transfrontalière
Le canton de Genève tire 80 à 90 % de son eau potable du Léman et les 10 à 20% restants proviennent de deux nappes souterraines, celles du Genevois et de l’Allondon. La première, qui a une capacité d’environ 80 millions de mètres cubes (Mm3), est principalement alimentée naturellement par les crues de l’Arve et par les précipitations. Les Services Industriels de Genève (SIG) y puisent chaque année, via une dizaine de puits, entre 10 et 15 Mm3. La nappe de l’Allondon quant à elle est de moindre importance et son exploitation, au puits de Russin, est plutôt limitée en raison du faible débit de la rivière en période d’étiage.
Une des particularités de la nappe d’eau du Genevois est qu’elle est transfrontalière et qu’elle sert également à l’alimentation en eau potable de plusieurs collectivités françaises situées au pied du Salève. En 1978, vu que depuis deux décennies elle était largement surexploitée au point que son niveau s’abaissait dangereusement et menaçait l’approvisionnement de la population en eau potable, le Canton de Genève et le Département de Haute-Savoie décidèrent de la gérer ensemble pour garantir sa pérennité. Cet accord franco-suisse a valeur d’exemple au plan mondial : pour la première fois en effet un organisme de collaboration internationale était mis en place pour la gestion transfrontalière d’un aquifère partagé par deux États.
L’autre particularité de cette nappe, liée à cette gestion commune, c’est sa réalimentation artificielle (environ 9 Mm3 en moyenne annuelle). Depuis 1980, de l’eau est pompée dans l’Arve dans la station genevoise de Vessy, traitée puis infiltrée dans l’aquifère grâce à un réseau de drains enterrés. [1]
La nappe phréatique du Rhône valaisan
sous haute surveillance
En Valais, l’approvisionnement de la population en eau potable est en grande partie assuré par des sources dans les versants montagneux et par des pompages dans les nappes phréatiques de plaine. L’exploitation des eaux souterraines par le biais de quelque 4’000 points de prélèvement permet de couvrir environ 90% des besoins du canton en eau potable.
« La nature et l’agencement des sédiments rencontrés dans la vallée du Rhône entre Brigue et le lac Léman (env. 120 km) sont étroitement liés à l’historique des avancées et retraits glaciaires durant l’ère quaternaire. L’épaisseur du remplissage quaternaire peut atteindre localement près de 1000 m et reste encore mal documentée en profondeur. À ce jour, l’essentiel du système aquifère exploité (nappe phréatique du Rhône) a une épaisseur moyenne de 50 m environ. Il se compose principalement d’alluvions grossières perméables et de matériaux plus fins correspondants à des dépôts d’inondation et/ou marécageux. » (Romain Sonney et al.) [2]
Depuis une bonne quarantaine d’années, le Valais s’est principalement investi dans la surveillance de la nappe alluviale de la plaine du Rhône avec le concours du Centre de recherche sur l’environnement alpin (CREALP). [3] Le réseau d’observation mis en place entre Oberwald et le Léman compte actuellement quelque 140 stations de mesure, sans compter les 180 stations installées dans le cadre des travaux de la 3e correction du Rhône. Le grand nombre de données recueillies au fil des ans par les hydrogéologues leur a permis de dresser une cartographie fort documentée des écoulements souterrains dans la vallée du Rhône et de sa nappe phréatique. Plus récemment, le Valais a également étendu son réseau d’observation des eaux souterraines à différents types d’aquifères de montagne. [4]
Une ressource particulière : les aquifères karstiques de l’Arc jurassien et des Préalpes
Karst : ce mot aux consonances germaniques désigne des régions dont les roches, en particulier le calcaire et le gypse, ont la particularité de pouvoir être facilement dissoutes par les eaux de pluie. Cette érosion se traduit en surface par l’absence de cours d’eau et différentes dépressions naturelles (emposieux, dolines, etc.) par lesquelles l’eau pénètre dans le sous-sol où elle a creusé des réseaux extrêmement ramifiés et des cavités de toutes tailles dans lesquelles elle peut s’accumuler partiellement. On parle alors de système karstique pour décrire la complexité des écoulements d’eaux souterraines jusqu’aux sources où elles refont surface, parfois très loin de l’endroit où elles se sont infiltrées. [5]
En Suisse, un cinquième environ du territoire national est de nature karstique (principalement la chaîne du Jura et les Préalpes) et ces aquifères karstiques représentent 80% des réserves du pays en eau souterraine. Pendant longtemps on s’est assez peu intéressé à leur fonctionnement, faute notamment de méthodes et d’outils adaptés à ce genre d’étude. On savait déjà cependant qu’ils peuvent connaître d’une saison à l’autre d’importantes variations de débit et des épisodes de grande turbidité, et surtout qu’ils sont fragiles : les eaux recueillies en surface non seulement peuvent être polluées mais, vu que la plupart du temps elles s’écoulent très rapidement dans les réseaux souterrains, elles ne sont pas non plus naturellement épurées. Cela contraint les distributeurs à les traiter pour les rendre potables.
Ces différents problèmes ont fait que le potentiel de ces aquifères karstiques a souvent été ignoré ou sous-exploité. Mais grâce à l’Institut suisse de spéléologie et de karstologie (ISSKA) qui a mis au point un outil dédié à l’utilisation de ces ressources souterraines particulières, il est relativement plus aisé désormais de mesurer le potentiel de ces écoulements et de mettre en œuvre des projets d’exploitation adaptés aux situations locales ou régionales. Comme dit Pierre-Yves Jeannin, directeur de l’ISSKA, « les eaux karstiques représentent tout à coup une alternative ou un complément intéressant, car ces eaux ne contiennent généralement pas de pesticides ni leurs métabolites. » [6] De quoi retenir l’attention des distributeurs d’eau confrontés aujourd’hui à la présence de chlorothalonil dans les nappes phréatiques.
Les autres articles de ce dossier :
– Les eaux souterraines : gros plan sur une ressource invisible
– Deux ou trois choses qu’il faut savoir sur les eaux souterraines en Suisse
– Petit glossaire des eaux souterraines
– Eaux souterraines, un monde à découvrir (en images)
– Rendre visible l’invisible