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8 juin 2022.

Quoi de neuf chez les
distributeurs d’eau ?

“Innovations dans l’eau potable”. C’est le thème que l’association des

Innovations dans l’eau potable”. C’est le thème que l’association des distributeurs d’eau romands a choisi pour sa traditionnelle journée technique annuelle, organisée à Bulle, dans le cadre du 11e salon aqua pro. Cette fois-ci, ses nombreux et fidèles participants en seront repartis avec davantage de questions que de réponses. C’était d’ailleurs le but avoué de l’exercice, à savoir : proposer aux professionnels de l’eau potable un panorama de situations, de réalisations et de projets ayant en commun de faire appel à des solutions innovantes non seulement sur le plan technique mais aussi en matière d’organisation du travail. À chacun d’eux, ensuite, de voir concrètement si les exemples apportés par les divers intervenants rejoignent leurs préoccupations et s’ils peuvent s’en inspirer pour améliorer les performances de leurs services. [1]

"L’innovation, nous dit Sébastien Apothéloz, chef du Service de l’eau de Lausanne et président des distributeurs d’eau romands, c’est un thème qui cette année s’est imposé assez naturellement. Ce ne sont pas les sujets qui manquent : le traitement de l’eau, les systèmes de mesure, la numérisation des données, etc. Mais leur point commun, leur thème transversal, c’est aujourd’hui l’innovation, la nécessité par exemple d’économiser la ressource, d’améliorer le rendement des réseaux d’eau, de faire en sorte que les services de l’eau gagnent en efficacité pour le bien-être des usagers et la sauvegarde de l’environnement. Des journées comme celles-ci permettent en tout cas aux petits distributeurs, majoritaires dans ce genre d’assemblées, de mieux appréhender le genre d’innovations que les grandes entreprises sont déjà en train d’étudier et de mettre en pratique."

Relier les acteurs de l’eau

Ici et là des initiatives originales ont déjà été prises dans ce sens. C’est ainsi que les communes valaisannes du Val d’Entremont se sont dotées d’un pôle dédié à l’innovation dans le domaine de l’eau et des ressources naturelles. BlueArk Entremont s’est ainsi donné pour objectif de relier les acteurs de l’eau - collectivités publiques, chercheurs et ingénieurs, investisseurs et entrepreneurs, etc. - et les soutenir dans leur recherche commune de “solutions concrètes, innovantes et rentables pour relever les défis du changement climatique”.

Il devient alors possible, entres autres défis à relever, de détecter avec des algorithmes les fuites dans les réseaux et dans les habitations, d’optimiser la consommation d’eau par le biais d’images satellites, de prévenir les crues et les sécheresses grâce aux prévisions météo, de partager les données concernant les flux d’eau et de les schématiser de manière à faciliter leur gestion et réguler leurs usages, voire aussi de tester les solutions sur un réseau virtuel.

Outils “à portée de main”
et plateformes informatiques

Les avancées technologiques liées au développement de l’informatique et de la numérisation ont bien évidemment des impacts sur les outils et les méthodes de travail des distributeurs de l’eau. Trois exemples, parmi d’autres :


 Sur les chantiers de canalisations, les mesures se feront de moins en moins avec les fameux rubans souples gradués qui peuvent être désormais remplacés par des GPS d’une grande précision et des smartphones ou des tablettes. Des applications mobiles “à portée de main” permettent de faire des relevés numériques de terrains et d’infrastructures en 3 dimensions, très utiles lorsqu’il s’agit ensuite de constituer une documentation technique plus élaborée que les seuls plans de réseaux sur papier.

 La fourniture d’eau potable est étroitement dépendante de l’énergie électrique notamment pour le pompage de l’eau, son traitement et sa distribution. Les statistiques suisses des services de l’eau montrent qu’ils utilisent en moyenne 0,45 kWh par mètre cube d’eau distribuée et on estime qu’un quart environ de la consommation d’électricité des communes est imputable à la fourniture d’eau potable à ses habitants. Pour les distributeurs, la question se pose, aujourd’hui plus que jamais, de la nécessité de restreindre leur consommation électrique tout en garantissant le meilleur approvisionnement possible de la population, y compris dans le cas où la fourniture d’électricité deviendrait problématique. Comment alors diminuer le coût énergétique du remplissage des réservoirs ? Peut-on imaginer, entre autres innovations, de recourir à l’énergie solaire et à des panneaux photovoltaïques ? Le Service de l’eau de Lausanne a étudié cette possibilité pour ses diverses installations et a conclu, en fonction notamment de critères environnementaux, que seule la moitié d’entre elles se prêteraient de façon rentable à ce type d’aménagement.

 Dans le domaine de l’eau et contrairement à ce qui se passe dans celui de l’électricité, on ne parle pas encore beaucoup, en Suisse, du développement de réseaux d’eau intelligents, c’est-à-dire de réseaux surveillés en continu et à distance par le biais de capteurs reliés à une plateforme internet, ou du télé-relevé des compteurs d’eau dotés d’un dispositif qui enregistre les quantités consommées et les transmet en temps réel via une connexion numérique [2]. Le suivi de toutes ces données permet alors de gérer au mieux les flux d’eau et de détecter sans retard les éventuels problèmes de quantité et de qualité. De tels réseaux intelligents vont sans aucun doute se développer dans les prochaines années. Les distributeurs d’eau - du moins les plus grands d’entre eux - sont attentifs à ce type d’innovations, mais ils savent aussi qu’ils devront veiller de près à la sécurité informatique de leurs installations.

Du côté de la recherche

Comme leurs tâches deviennent de plus en plus complexes et qu’il importe de chercher ensemble des solutions durables aux problèmes qui leur sont communs, les distributeurs d’eau regroupés au sein de la Société Suisse de l’Industrie du Gaz et des Eaux (SSIGE) disposent depuis une dizaine d’années d’un Fonds de recherche pour l’eau (FOWA) qui soutient financièrement et encourage des études et des projets d’un intérêt éminemment concret et vital du genre : les mesures contre la pollution des eaux souterraines par des produits phytosanitaires sont-elles efficaces ? quels sont les procédés les plus probants pour éliminer les micropolluants présents dans l’eau potable, notamment les métabolites du chlorotalonil ? qu’en est-il des bactéries qui résistent aux antibiotiques dans l’eau brute et potable ? comment déceler et mesurer les microplastiques à travers les différentes étapes du traitement de l’eau ?

Une distinction et un coup de cœur

À chacune de ses éditions, le Salon aqua pro se fait un point d’honneur de décerner un prix de la Distinction Innovation. Le jury a choisi cette année de récompenser l’entreprise Hach Lange, basée dans les cantons de Saint-Gall et de Genève, pour son analyseur en ligne de toxicité des eaux usées. Ce système, répertorié sous le label EZ7900, est capable en temps réel de détecter et de mesurer les voies d’eaux usées qui présentent une toxicité aiguë ou chronique pour la biomasse d’une usine de traitement. Les opérateurs peuvent alors prendre les mesures correctives qui s’imposent pour protéger la viabilité de la boue activée.

La jury a également dédié un Coup de Coeur à la société Swiss Intech SA, basée en Gruyère qui, sous la marque Pumpilo, propose des installations solaires et durables pour le pompage d’eau dans des zones où elle est difficilement accessible, non seulement en Afrique mais aussi en Suisse dans des alpages. Alimenté par un panneau photovoltaïque, ce type de pompe de maintenance facile et fonctionnant sans batterie permet un prélèvement modulable préservant les petites sources. Il peut être également utilisé pour le dessalement d’eaux saumâtres.

Les innovations ne sont pas seulement techniques

Cela dit, on aurait tort de limiter le champ de l’innovation au secteur technique. "Il faut innover également dans le domaine des ressources humaines et du management, souligne Sébastien Apothéloz. Dans les entreprises, c’est une tendance assez forte aujourd’hui de responsabiliser les collaborateurs et de leur donner davantage d’autonomie : plus leur marge de manœuvre est grande, plus ils sont créatifs et motivés. Il existe des modèles d’organisation du travail, moins hiérarchiques et plus axés sur la gestion de projets, qui peuvent être innovants indépendamment de la technologie. Par ailleurs, si l’on veut mettre en œuvre des solutions inédites et utiliser de nouveaux outils, il faut du personnel compétent et bien formé dans tous les corps de métier, sur les chantiers comme dans les bureaux d’ingénieurs."

Lors de cette journée, l’un des conférenciers a rappelé, exemple à l’appui, qu’il est malaisé de développer de nouvelles idées dans des organisations qui ont leurs bonnes vieilles habitudes … sauf si on donne à ces propositions inédites un cadre dans lequel elles peuvent s’enraciner, grandir et s’épanouir. Les entreprises devraient donc avoir à cœur de susciter en leur sein une véritable “culture de l’innovation” et de favoriser des structures où les collaborateurs peuvent se confronter aux idées novatrices et partager leurs propres expériences.

Reste, dit encore Sébastien Apothéloz, qu’"il est difficile pour ceux qui sont plongés dans les rythmes quotidiens de prendre suffisamment de recul et de temps pour aborder ce genre de questions. Une journée comme celle d’aujourd’hui était précisément organisée pour attirer l’attention sur toutes ces innovations et pour faire passer des messages du genre : regardez, ça bouge !"

Bernard Weissbrodt




Notes

[1Organisée du 8 au 10 juin 2022 à Bulle, dans le canton de Fribourg, la 11e édition du salon aqua pro dédié aux professionnels suisses du domaine de l’eau a regroupé 120 exposants, accueilli quelque 4200 visiteurs et hébergé quatre séminaires techniques. Les organisateurs avaient également choisi pour leur rendez-vous bisannuel un invité de marque, le skipper franco-suisse Yvan Bourgnon, fortement engagé via son projet The SeaCleaners dans la lutte contre la pollution des océans par les déchets plastiques. Une 12e édition du salon est d’ores et déjà prévue en 2024.

[2Lors de cette journée technique, “la gouvernance numérique et la gestion intégrée des données” a fait l’objet d’une communication de David Poinard, directeur des opérations de la société Eau du Grand Lyon qui approvisionne la métropole lyonnaise en eau potable (56 communes, 1,3 million d’habitants, 270’000 m3 par jour). Le vaste système informatique qui y a été développé au cours des huit dernières années a nécessité d’importants investissements (de l’ordre de 30 millions d’euros). L’un des résultats les plus visibles pour les usagers du réseau est la pose de 380’000 compteurs d’eau connectés dont les données sont transmises en temps réel à une plateforme internet sécurisée.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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