Comme chaque année à partir du mois de septembre, les jacinthes d’eau envahissent massivement la lagune de Porto-Novo comme pour attirer l’attention sur les changements que connaissent les écosystèmes aquatiques en général et celui de la capitale béninoise en particulier. Ces transformations spectaculaires, tout le monde les regarde de manière récurrente dans une indifférence déconcertante. On ferait bien cependant d’écouter la « voix verte » de cette abondante recrudescence de végétation et de s’interroger sur ce qu’elle dit de la santé des plans d’eau et de celle de leurs riverains [1].
Cela revient chaque année lors du dernier trimestre et disparait au premier trimestre de l’année suivante : de robustes jacinthes d’eau, agglutinées les unes aux autres, envahissent massivement les plans d’eau. Une grande partie de la surface de la lagune de Porto-Novo [2] disparaît sous une grosse épaisseur inerte et compacte de végétation. C’est qu’elle subit de façon saisonnière les influences de deux milieux de salinités différentes : d’une part le complexe fluvio-lagunaire d’eau douce situé à l’ouest ; d’autre part, à l’est, les eaux saumâtres amenées par la mer.
De septembre à novembre, la lagune se gonfle des eaux de pluie et de ruissellement, et des eaux douces en provenance du lac Nokoué proche de Cotonou. Son degré de salinité baisse alors d’une manière spectaculaire. Cela profite aux jacinthes d’eau dont les structures se gonflent elles-mêmes de molécules d’eau : telle une armée d’occupation, elles se rendent vite maîtresses des lieux et prolifèrent sur les plans d’eau. Elles se regroupent en un immense tapis vert se mouvant très lentement au gré des flots. Dès que ce tapis se heurte au moindre obstacle, il ralentit, l’entraîne avec lui quand c’est possible, ou alors s’immobilise : son inertie croît au point de le rendre résistant à la force du vent. Une vraie force tranquille de la nature !
C’est le cas à l’entrée du pont de Porto-Novo : l’armature métallique du vieux pont, fermé à la circulation, fait barrage à cette immense forteresse de verdure et empêche toute circulation fluviale, dans les deux sens, sur plus de 300 mètres et plus de dix hectares. En clair : la végétation dicte sa loi à tout le monde. Finies les activités de pêche et les mouvements de pirogues et autres embarcations.
Commencent alors les complaintes des populations de pêcheurs : « tôgblé », « le plan d’eau est gâté, la pêche est impraticable ». Le blocage de la voie fluviale n’est en soi qu’un évènement dans l’évènement. Ce phénomène de l’invasion massive des plans d’eau est récurrent, il ne date pas d’aujourd’hui. Il n’est pas propre non plus à la lagune de Porto-Novo, il a lieu sur la plupart des cours et plans d’eau douce.
Lorsque le degré de salinité remonte sous l’influence de l’eau de mer, les jacinthes dépérissent, meurent et se décomposent au fond de l’eau qui devient fétide : on assiste alors à l’eutrophisation du plan d’eau et à l’asphyxie de ses espèces aquatiques. L’eau de la lagune est également disqualifiée pour les usages courants, la consommation ou la baignade par exemple.
Quelles solutions ?
Mais d’où viennent ces jacinthes d’eau ? que cherchent-elles sur les plans d’eau douce ? quel est leur avenir dans ce milieu aquatique ? De toute évidence, c’est une végétation exotique aux plans d’eau du Bénin. Si on ignore leur provenance précise, on sait avec exactitude qu’elles représentent un bon indicateur biologique de la pollution des plans d’eau douce. Les eaux usées non traitées en provenance des différents bassins versants charrient des résidus d’intrants agricoles, des déchets organiques et minéraux qui sont de précieux aliments qui font vivre et proliférer ce type de végétation. Tant que ces eaux usées pollueront les plans d’eau, les jacinthes ont de beaux jours devant elles et les milieux aquatiques, si indispensables à la vie, vont finir « étouffés ». Irréversiblement dégradés.
Les populations de pêcheurs ont quant à elles trouvé leur solution : la lutte mécanique. Cela consiste à lever une armée de jeunes gens vigoureux. Munis de coupe-coupe et de haches, ils se ruent à l’assaut des jacinthes, coupent les végétaux indésirables, dégageant des voies de passage. Mais les jacinthes d’eau ne sont choses dont on se débarrasse aussi facilement. La lutte mécanique est fastidieuse et sur le long terme se révèle peu efficace.
L’État et les instituts de recherche ont tenté la lutte biologique : le travail de destruction est alors confié à une bactérie qui « bouffe » la jacinthe d’eau dans l’œuf. Mais elle n’arrive pas à suivre la cadence des plantes qui croissent et se multiplient plus vite qu’elle. La lutte biologique ne progresse que très lentement et les chances de succès, à mon avis, sont négligeables, sinon nulles.
Quant à une possible lutte chimique, elle n’est pas envisagée car elle risquerait de détruire non seulement les jacinthes d’eau, mais aussi toute la faune et la flore aquatiques, sans parler des effets néfastes sur la qualité des eaux.
Il existe cependant d’autres moyens de lutte qui ont fait leurs preuves en Europe par exemple contre d’autres proliférations végétales. Cela commence par le contrôle de l’utilisation des intrants agricoles, des détergents, des lessives dans les ménages et leur élimination progressive des eaux usées. Dans les pays riches, le recours aux stations de traitement et d’épuration des eaux usées avant leur déversement dans le milieu naturel a permis de restaurer la qualité les eaux. Une affaire de gros sous et de haute technologie !
Une ressource pour le développement
Toutefois les pays du Sud ont à leur portée des solutions bien moins coûteuses, à la portée de leurs bourses, et prometteuses en termes de nouveaux biens et services. Il leur faut investir dans la recherche pour valoriser, transformer et utiliser la jacinthe d’eau en matériaux utiles en maints domaines de la vie socio-économique : fabrication de papier, de paniers et de sacs ou autres objets artisanaux ; production de fibres et de tissus ; production de fourrage et de litières pour animaux ; production de charbon, de biogaz et de biocarburants ; aménagements de routes et de bâtiments de génie civil, etc. [3]
Les jacinthes d’eau, cette peste de déchets végétaux encombrants, pourraient devenir une véritable ressource pour le développement : cours d’eau et lagunes s’en porteraient beaucoup mieux. Et les habitants de Porto-Novo aussi.
Texte : Bernard Capo-Chichi,
Photos : Eric Michowanou
Porto-Novo (Bénin)