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20 août 2019.

La pollution, face cachée de "la crise de l’eau"

À partir du moment où l’on prend davantage conscience, parce (...)

À partir du moment où l’on prend davantage conscience, parce qu’ils deviennent évidents, des impacts des changements climatiques sur les ressources hydriques, il est normal que l’on se demande de plus en plus fréquemment si à l’avenir on pourra toujours disposer d’assez d’eau pour répondre aux besoins des populations et de leurs multiples activités. Mais, c’est l’avis en tout cas de la Banque mondiale, les problèmes de rareté de l’eau occultent trop souvent ceux qui concernent sa qualité. Sur la base des études qu’elle vient de publier [1], elle constate en effet que la qualité de l’eau dans le monde est désormais, de manière certes peu visible mais indéniable, sous la menace de risques de détérioration plus importants que ceux qu’on lui connaissait jusqu’à présent dans les domaines de la santé, de l’agriculture et de l’environnement. Et que ces pollutions peuvent considérablement freiner le développement économique de certains pays.

"L’eau propre est un facteur essentiel de croissance économique, explique David Malpass à propos de ce nouveau rapport du Groupe de la Banque mondiale qu’il préside. Et quand la qualité de l’eau se détériore, elle entrave la croissance économique, aggrave les problèmes sanitaires, réduit la production de denrées alimentaires et exacerbe la pauvreté dans de nombreux pays." Faut-il rappeler qu’améliorer la qualité de l’eau en réduisant la pollution est l’un des objectifs du Programme de développement durable adopté par les Nations Unies pour la période 2015-2030 ? [2]

Le rapport que publie la Banque mondiale, à partir d’une vaste base de données, veut attirer l’attention des pouvoirs publics sur les risques "plus larges, plus profonds et plus importants" que ce que l’on supposait en matière de dégradation de la qualité des ressources en eau. Et de ce point de vue, disent ses experts, il faut cesser de croire que la maîtrise de la pollution va de pair avec le développement économique : "le statut de pays à revenu élevé ne confère aucune immunité contre les problèmes de qualité de l’eau (…), pays riches comme pays pauvres sont tous confrontés à des taux élevés de pollution". Quant aux contaminations de l’eau, elles ne sont pas seulement dues à des bactéries ou à des virus d’origine fécale : d’innombrables nouveaux produits chimiques arrivent chaque année sur le marché et finissent dans la nature, donc aussi dans l’eau.

Nitrates, sel et polluants émergents

En premier lieu, le rapport de la Banque mondiale pointe du doigt l’azote, largement utilisé comme engrais par l’agriculture mais ensuite lessivé dans les eaux de surface (parfois dans les eaux souterraines) où il se transforme en nitrates. Les nourrissons exposés à ces résidus via l’eau potable encourent des risques mortels dus à un manque d’oxygène dans le sang (le fameux syndrome du bébé bleu) et s’ils en réchappent en portent les séquelles durant toute leur vie. Comment dès lors concilier le recours à des engrais azotés pour améliorer les rendements agricoles et la nécessité de protéger les populations contre les risques encourus ? Le rapport, en tout cas, se fait l’écho de ceux qui pensent que "les larges subventions dont bénéficie le secteur des engrais génèrent probablement des dommages pour la santé humaine aussi grands, voire bien plus grands, que les avantages qu’en retire l’agriculture".

Les risques liés à une trop grande salinité de l’eau, pourtant bien connus, sont de toute évidence sous-estimés. Risques pour la santé tout d’abord, en particulier dans les phases vulnérables du cycle de la vie, lors de la grossesse ou pendant la petite enfance. Mais risques aussi pour la sécurité alimentaire car l’eau saline, de plus en plus présente dans de nombreux points du globe, en particulier dans les zones côtières de faible altitude, les zones arides irriguées et les zones urbaines irriguées avec des eaux usées non traitées, a un impact considérable sur les rendements agricoles. Les experts de la Banque mondiale estiment globalement que la quantité de produits alimentaires perdue chaque année à cause de l’eau salée suffirait à nourrir quelque 170 millions de personnes, soit une population équivalente à celle du Bangladesh.

S’il est un domaine où l’on touche de près à la complexité des problèmes de qualité de l’eau, c’est bien celui des microplastiques, produits pharmaceutiques et autres polluants émergents : on apprécie leur grande utilité mais on n’en sait pas beaucoup sur les risques de leur décomposition, et on n’a guère de solutions immédiatement efficaces à proposer : "L’élimination des plastiques, une fois dans l’eau, est difficile et coûteuse, lit-on dans le rapport. Les approches volontaires visant à réduire, réutiliser et recycler le plastique, bien que populaires, ne peuvent aller si loin et ne résoudront pas le problème sans la combinaison appropriée de réglementations et d’incitations. La prévention est donc essentielle." [3]

Quel est le coût économique
de la mauvaise qualité de l’eau ?

Cette question reste sans réponse, dit la Banque mondiale. À cause de la multitude de contaminants, de la complexité des mesures et de l’incertitude des impacts. Mais sur la base d’un ensemble de données relativement fiables, il est toutefois possible, selon elle, d’obtenir quelques utiles indications sur la relation entre la qualité de l’eau en amont et l’activité économique en aval : "Lorsque le niveau de la demande biologique en oxygène des eaux de surface atteint un niveau à partir duquel les rivières sont considérées comme fortement polluées (au-delà de 8 milligrammes par litre), la croissance du produit intérieur brut des régions situées en aval serait réduite d’un tiers."

Cela signifie donc, étant donné que les impacts de la mauvaise qualité de l’eau sont en grande partie imperceptibles, que leurs coûts économiques à long terme ont été sous-estimés et sous-évalués et que l’inaction politique comme le report systématique des prises de décision sont souvent "des réponses commodes à un problème invisible". Cela revient à mettre des populations en danger "à leur insu ou sans leur consentement". La conclusion des auteurs du rapport est dès lors on ne peut plus impérative : la qualité de l’eau doit être une priorité politique et traitée comme une préoccupation urgente pour la santé publique, l’économie et les écosystèmes. (Source : Banque mondiale).




Notes

[1"The invisible water crisis : quality unknown", World Bank Group, 2019.
Voir le document original (en anglais).

[2Objectif 6.3 : D’ici à 2030, améliorer la qualité de l’eau en réduisant la pollution, en éliminant l’immersion de déchets et en réduisant au minimum les émissions de produits chimiques et de matières dangereuses, en diminuant de moitié la proportion d’eaux usées non traitées et en augmentant considérablement à l’échelle mondiale le recyclage et la réutilisation sans danger de l’eau.

[3Dans un communiqué publié le 22 août 2019, l’Organisation mondiale de la Santé a réclamé une évaluation approfondie des microplastiques présents dans l’environnement et de leurs conséquences potentielles sur la santé humaine. Cet appel faisait suite à une étude qu’elle venait de publier selon laquelle les microplastiques contenus dans l’eau de boisson ne présenteraient pas de risques pour la santé, du moins aux niveaux actuels. Mais vu la pauvreté des données actuelles sur ce sujet, dit l’OMS, il est nécessaire de poursuivre les recherches, de mettre au point des méthodes de mesures standardisées, d’évaluer l’efficacité de différents procédés de traitement et d’enrayer l’augmentation de ce type de pollution.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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