Même si le vote du 28 juillet aux Nations Unies n’introduit aucune obligation nouvelle, même si l’événement est quasiment passé inaperçu dans le ronron estival, c’est une date dont on pourrait se souvenir. Ce jour-là, à New York, 122 pays ont ouvertement soutenu devant l’Assemblée générale une résolution reconnaissant le droit à une eau potable, salubre et propre, comme un droit fondamental. Peut-être dès lors les gouvernements prendront-ils un peu mieux la mesure du chemin qui reste à faire : pour des centaines de milliers de gens de par le monde, ce droit universel, simple à écrire, est encore et toujours lettre morte.
Il y a quelques années, la même Assemblée avait déjà rappelé que "l’eau est essentielle au développement durable, y compris l’intégrité de l’environnement et l’élimination de la pauvreté et de la faim, et est indispensable à la santé et au bien-être des personnes". Cette fois-ci, à l’initiative d’une coalition de pays latino-américains et africains emmenée par la Bolivie, il ne s’agissait pas seulement d’affirmer une nécessité, mais un droit humain fondamental.
La résolution présentée par la délégation du gouvernement d’Evo Morales et adoptée par l’Assemblée générale (voir colonne de droite) reconnaît en effet que "le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme".
On est loin du refus systématique et répétitif des réunions ministérielles convoquées à chacun des Forums mondiaux de l’eau, y compris l’an dernier à Istanbul, pour défendre le point de vue, inspiré par les vendeurs d’eau, que l’accès à l’eau se définit en termes de besoins et de leur satisfaction (forcément aléatoire), et non en termes de droits humains (qu’il faut obligatoirement respecter).
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler, comme le fait la résolution onusienne dans son préambule, que c’est d’abord aux États qu’il incombe de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et que ces droits doivent être traités "globalement, de manière juste et égale, sur un pied d’égalité et avec la même priorité". Reconnaître le droit à l’eau, ce n’est pas donc une option politique que les États peuvent choisir de suivre ou ne pas suivre.
"Nous devons envoyer un message clair au monde entier que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental et que nous devons faire tout notre possible pour en faire une réalité" : c’est l’appel que Solon Pablo, ambassadeur de Bolivie à l’ONU, lançait aux diplomates lors de la présentation de la résolution. Les deux tiers d’entre eux (122) l’ont suivi. Mais, si aucun n’y a formellement fait opposition (ce qui mérite d’être souligné), 41 autres se sont abstenus, et pas des moindres, États-Unis et Canada en tête.
Il n’y a manifestement pas de consensus en la matière puisqu’il a fallu compter les voix. Et, à entendre les explications de vote des délégations, on mesure vite le fossé qui sépare ceux qui s’appuient sur des textes juridiques avérés pour affirmer l’existence implicite du droit à l’eau et ceux qui s’y opposent, sur le fond ou sur la forme (ce qui parfois est une façon diplomatique d’éviter de se prononcer sur l’essentiel).
Certains pays, comme la Suisse qui a cependant voté la résolution, dénoncent une démarche jugée "peu constructive et peu transparente", pensent que le texte empiète sur les compétences du Conseil des droits de l’homme et qu’il fait abstraction de la responsabilité première des États en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement. D’autres estiment que les bases du droit international sont insuffisantes pour en déduire un quelconque droit à l’eau, craignent que ce genre de procédure ne serve qu’à créer de nouveaux droits ou que les États en viennent à perdre purement et simplement leur droit souverain sur leurs ressources naturelles (point de vue largement défendu notamment par l’Éthiopie dont on sait qu’elle revendique un partage équitable des eaux du Nil).
Même si cette résolution n’introduit aucune obligation nouvelle (ce qui est le cas de la plupart des résolutions de l’Assemblée générale), elle a tout de même le mérite, explique Henri Smets, éminent spécialiste belge des questions du droit à l’eau, "d’ouvrir un débat politique sur une question politique et de cesser les arguties juridiques sans fin sur le droit à l’eau, sa définition, ses incidences, ses complexités, ses exceptions, etc."
La Canadienne Maude Barlow, fondatrice de "Blue Planet Project", un mouvement citoyen très actif au plan international pour la protection de l’eau douce, soulignait pour sa part, dans une lettre ouverte adressée avant le vote à toutes les délégations onusiennes, que même si cette résolution respecte la souveraineté des États membres et n’est pas contraignante, et même si personnellement elle continuera de soutenir l’idée qu’il faut élaborer un véritable traité international sur l’eau, c’est une étape cruciale pour l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement qui était en jeu le 28 juillet à New York.
Cette nouvelle résolution onusienne, on en conviendra aisément, ne représente qu’un tout petit pas et les militants du droit à l’eau ont probablement tort de crier victoire. On en sait aujourd’hui un peu plus sur la position des uns et des autres, sur leurs motivations comme sur leurs intérêts. Mais on est encore à mille lieues du consentement unanime dont le droit a véritablement besoin pour que les bonnes intentions finissent par changer le monde. Un monde dans lequel aujourd’hui un enfant meurt toutes les 20 secondes par manque d’eau salubre et propre.
Bernard Weissbrodt