Ce forage a été réalisé il y a trois ans dans une nappe riche en eaux souterraines, chose plutôt rare dans la région pour être soulignée. Comme il est situé sur le territoire du couvent principal du vaudoun Hèbiosso, divinité du tonnerre, ce sont les dignitaires du culte qui ont donné l’autorisation d’aménagement et décidé de son emplacement.
Une relation de cause à effet a vite été établie pour attribuer l’abondance de l’eau en ce lieu à la bienfaisance infinie de la divinité et pour baptiser le forage "Hunlègbatô", c’est-à-dire, littéralement, le forage d’eau de la divinité des lieux, quand bien même son financement résulte d’un don personnel et anonyme d’un fils du pays.
Grâce à ce forage de 35 mètres de profondeur, où elles peuvent s’approvisionner dès 5 heures du matin et le soir jusqu’à 22 heures durant toute la saison sèche (de novembre à mars), quelque quatre mille personnes bénéficient d’une eau qui satisfait leurs besoins domestiques.
Nombre d’entre elles y font un aller-retour plusieurs fois par jour pour y remplir leurs bidons de 25 litres contre 10 francs CFA (2 centimes d’euro), c’est-à-dire cinq fois meilleur marché que sur les forages desservis par la société nationale de distribution d’eau. Ainsi en a voulu le promoteur du forage qui tient de toute évidence à pratiquer une sorte de tarification sociale, pour le grand bonheur des habitants qui ne cessent de lui renouveler leurs vœux d’une vie longue et heureuse.
À la demande des dignitaires du culte vaudoun, la fourniture d’eau à la pompe est interrompue la nuit par respect pour les divinités. Car c’est à ce moment-là "qu’elles reçoivent leurs convives pour parler de ce qui préoccupe les humains". Il est donc impératif d’observer strictement la quiétude des lieux. Rixes et autres disputes liées au partage de l’eau sur les forages sont également interdites sous peine d’amendes en nature et en espèces perçues pour exorciser l’endroit.
sous le regard d’un dignitaire et prêtre du vaudoun Hébiosso
La qualité de cette eau est relativement acceptable. Mais avec elle, le savon ne mousse pas bien : elle est trop riche en calcium et magnésium, et on y soupçonne une présence élevée de nitrates. Le délégué du quartier n’en a cure. En attendant le résultat d’analyses plus complètes d’échantillons d’eau, il répond à toutes les inquiétudes par un proverbe yoruba : "quand on veut éteindre un incendie, on ne se préoccupe pas de la qualité de l’eau". Cela a beau être discutable, l’affluence et les encouragements des consommateurs lui donnent raison.
Le délégué du quartier admet que les longues heures consacrées à la quête de l’eau ne sont pas sans conséquences : les activités économiques fonctionnent au ralenti, la scolarité des enfants et surtout des filles s’en trouve perturbée, les repas dans les ménages prennent du retard. Mais l’essentiel est acquis : pendant toute la saison sèche, le forage de Hunlègba fournit l’eau nécessaire à la vie quotidienne. Fort de cette réserve presque inépuisable, le préposé au forage envisage de le remplacer par un château d’eau, ce qui rendrait la distribution d’eau plus efficace et plus rapide.
Quand arrive le mois de mai qui marque le début de la saison des pluies, les puits domestiques se remplissent peu à peu et, du coup, l’affluence au forage de Hunlègba se fait plus rare au point d’y interrompre la fourniture d’eau. Son responsable et le comité de gestion en profitent pour entretenir l’installation et réviser le fonctionnement de la pompe qui elle aussi profite d’un repos bien mérité. Jusqu’à ce que, vers la fin octobre, reprennent les va-et-vient de la corvée d’eau.
Texte et photos :
Bernard Capo-Chichi
Porto-Novo (Bénin)