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1er mars 2021.

Genève, Rue des Trois-Blanchisseuses

Un hommage aux lavandières du temps jadis

Depuis le 1er mars 2021, la Rue de la Pisciculture, située à Genève dans le quartier du Seujet, à proximité du barrage-écluse qui régule le niveau du Léman, porte le nom de « Rue des Trois-Blanchisseuses », en hommage à trois femmes qui ont péri le 1er août 1913 dans la submersion d’un bateau-lavoir. C’est l’occasion de se souvenir d’une époque où des lavandières s’activaient laborieusement sur les berges du Rhône genevois. [1]

Ce jour-là, lit-on dans les archives du Journal de Genève [2], « un bateau-lavoir amarré au quai du Seujet et dans lequel se trouvaient cinq femmes a subitement coulé dans le Rhône. L’eau, qui était assez profonde à cet endroit, a envahi le bateau, dont le toit seul émergeait ». Deux femmes furent sauvées et réanimées, les trois autres se noyèrent : Marie Dido, 28 ans, mariée et mère de trois enfants, Franceline Mermier, 73 ans, blanchisseuse et Cécile Pleold, 21 ans, employée-blanchisseuse. Une souscription fut aussitôt ouverte pour venir en aide aux familles des victimes.

Trois mois plus tard, un tribunal prononcera un non-lieu en faveur des trois personnes inculpées après l’enquête de police, à savoir : un ingénieur-hygiéniste du bureau de salubrité publique, le propriétaire du bateau-lavoir ainsi que son locataire. Quand bien même la vétusté de l’embarcation, des défectuosités et l’absence de réparations avaient été précédemment signalées au service de l’hygiène, le juge avait conclu que « la catastrophe est due principalement à la fatalité, soit à des circonstances difficiles ou impossibles à prévoir ; qu’on ne peut pas dire, en l’espèce, qu’il y ait eu de la part des trois inculpés maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements ». [3]

N’empêche : cette tragédie aura marqué l’opinion qui réclame alors la construction d’installations fixes pour remplacer les bateaux. L’année suivante les autorités de la ville adopteront un projet de lavoir municipal destiné aux ménagères de la classe ouvrière dans le quartier des Pâquis.

Un témoignage

« Ma mère allait chercher le linge chez les clients, le triait au bateau-lavoir, le lavait là et le rapportait le soir mouillé », raconte une certaine Madame Chavanne, fille d’une lavandière, dans une archive de la Radio suisse romande [4]. Les faits remontent au début du 20e siècle, à une époque où selon ses souvenirs il existait encore pas moins de sept bateaux-lavoirs amarrés sur le Rhône. D’immenses chaudières y étaient installées qui produisaient de la vapeur avec l’eau puisée dans le fleuve. Les lavandières, qui y travaillaient du lever du jour à la tombée de la nuit, n’avaient pas le temps de s’occuper de leurs enfants qu’elles plaçaient alors à la crèche. Au bateau-lavoir, elles devaient parfois se battre pour y trouver une place qu’elles payaient 20 centimes de l’heure alors qu’elles ne gagnaient que deux francs par jour.

Promenade, rues et « Bateau-Lavoir »

Une « Promenade des Lavandières », qui des Halles de l’Île jusqu’au Bâtiment des Forces Motrices permet de cheminer entre les deux bras du Rhône genevois, donnait déjà aux Genevois l’opportunité de se souvenir de l’épuisant et dangereux labeur de ces femmes. Mais suite à une motion réclamant « une reconnaissance dans l’espace public du rôle joué par les femmes dans l’histoire genevoise », le gouvernement genevois a approuvé en novembre 2020 le changement de nom de dix rues ou espaces publics, parmi lesquels la Rue de la Pisciculture rebaptisée « Rue des Trois-Blanchisseuses », en hommage aux trois victimes du drame du 1er août 1913 [5]. À noter qu’il existe aussi à Genève, dans le quartier de Plainpalais, une « Rue des Battoirs » qui jadis menait à un bateau-lavoir, installé sur l’Arve, « où les lavandières tapaient le linge à lessiver avec leurs battoirs ». [6]

Le dernier bateau-lavoir genevois a disparu au début des années 1940. Mais pour soutenir l’insertion sociale et professionnelle de jeunes en difficulté, une association genevoise a conçu puis mené à terme en 2012 la construction d’un bateau-lavoir original, aménagé en café-restaurant et participant au projet plus large de mise en valeur des rives du Rhône à des fins culturelles et récréatives. (bw)



Notes

[1Le blanchisseur ou la blanchisseuse est, selon le dictionnaire de l’Académie française, « une personne dont le métier est de procéder au blanchissage du linge, et, éventuellement, à son repassage ». Le mot « lavandière », plus ancien et davantage poétique, désignait jadis, de manière générale, les filles et les femmes qui lavaient le linge familial dans un lavoir ou sur la rive d’un cours d’eau, mais plus particulièrement celles qui faisaient métier de lessive, attachées à un lavoir particulier ou se déplaçant d’un lavoir à un autre, travaillant à leur compte ou pour le compte d’un employeur. Quant au mot « bateau-lavoir », il s’appliquait le plus souvent à « un ponton établi au bord de l’eau, où les lavandières venaient laver leur linge ». Les bateaux-lavoirs étaient généralement utilisés en toutes saisons, indépendamment des conditions météorologiques.

[2« Une catastrophe au cœur du Seujet », Journal de Genève, samedi 2 août 1913, page 3. Voir >

[3« La catastrophe de Saint-Jean », Journal de Genève, samedi 15 novembre 1913, pages 4-5. Voir >

[4« Madame la lavandière », Journal de midi, 1er janvier 1970, archives de la RTS. Écouter >

[5Voir la notice ad hoc publiée sur le site officiel des Noms géographiques du Canton de Genève.

[6Selon le répertoire des noms géographiques genevois, le bateau-lavoir auquel la « Rue des Battoirs » fait référence a disparu lors de l’aménagement des deux rives de l’Arve pour l’Exposition nationale suisse de 1896.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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