À peine sortis des turbulences de la conférence sur les changements climatiques, nous voici, sans transition, plongés dans l’Année internationale de la biodiversité et dans des problématiques aussi vitales et complexes que celles débattues en décembre dernier à Copenhague.
Vitales, car l’existence humaine est de toute évidence liée à la diversité des richesses naturelles : sans elles, nous aurions bien du mal à garantir notre alimentation et notre santé, mais aussi les matières premières dont nous avons quotidiennement besoin.
Complexes, car lutter pour la biodiversité ne se résume pas à se préoccuper de la survie de milliers d’espèces végétales et animales menacées de disparition à plus ou moins long terme. C’est aussi protéger la diversité des habitats naturels qui les hébergent ainsi que la diversité des échanges et des interactions entre ces différents espaces naturels vivant en symbiose constante.
Ces biocénoses (communautés de toutes espèces coexistant dans un même espace) et les ressources en eau ne peuvent se passer les unes des autres. Les écosystèmes ont besoin d’eau pour subsister et, comme on dit dans le jargon, pour remplir correctement leurs ‘services écologiques’ : ce sont eux qui, entre autres, régulent les flux et les crues, épurent l’eau de manière naturelle et rechargent les nappes souterraines. Ils sont au cœur de toute forme de vie.
Non seulement ces ‘services’ sont généralement mal connus, mais, du fait de leur apparente gratuité, leur valeur économique est la plupart du temps largement sous-estimée. Si tel n’était pas le cas, comment expliquer que les Suisses, par exemple, aient accepté au fil du temps de bétonner voire d’entraver un quart de leurs cours d’eau et de perdre 90 pour cent de leurs zones alluviales ?
Tout n’est pas négatif. En 1987, grâce au soutien des citoyens à l’initiative dite de Rothenthurm, la protection des marais et des biotopes a été inscrite dans la Constitution fédérale. Les sites marécageux les plus importants du pays, qui abritent un quart des espèces végétales menacées de Suisse, ont été méthodiquement recensés, ce qui a permis de mettre un frein à leur destruction.
Protéger et entretenir les biotopes a cependant un coût : l’État fédéral et les cantons dépensent actuellement chaque année environ 70 millions de francs pour la protection des sites d’importance nationale. Mais, disent les experts, c’est nettement insuffisant. Il en faudrait deux fois plus pour assurer efficacement (et conformément à la législation) la protection et l’entretien de quelque 6’000 biotopes, hauts et bas-marais, zones alluviales, sites de reproduction de batraciens, etc. Grosso modo, une bonne protection des biotopes suisses coûterait, dit-on, dix francs de plus par habitant et par an. Mais cela ne suffirait encore pas à rétablir leur qualité d’origine.
L’Année internationale de la biodiversité est le moyen choisi par les Nations Unies pour pousser les gouvernements (et les citoyens) à dresser le bilan de leurs actions de conservation menées depuis le Sommet de Rio en 1992. La Suisse, comme bien d’autres pays, est bien obligée de constater qu’elle n’a pas vraiment réussi, malgré tous ses efforts, à stopper l’hémorragie de biodiversité sur son territoire, surtout en termes de qualité. Elle en est consciente et a mis en chantier une stratégie nationale de la biodiversité. Cet objectif fait en tout cas partie de son programme de législature 2007-2011.
On aurait tort cependant de penser que la lutte pour la diversité biologique ne serait qu’affaire de stratégie. Les premières armes sont à portée de main, et à la portée de chacun : ça commence par le refus ou l’abandon de comportements quotidiens qui tuent la biodiversité, c’est-à-dire toutes formes de gaspillage et de pollution. Et ça continue avec des gestes qui, eux, encouragent concrètement cette biodiversité, ne serait-ce par exemple qu’en donnant la préférence, dans sa cuisine, à des variétés traditionnelles et locales de fruits, légumes, céréales et autres produits d’exploitations agricoles qui se préoccupent de sauvegarder les espèces végétales et animales rares ou menacées par l’uniformisation des pratiques alimentaires. Consommer autrement pour mieux conserver la nature : ce n’est pas le moindre des paradoxes annoncés de cette nouvelle année !
Bernard Weissbrodt