Nous n’oublierons pas de si tôt ses énergiques plaidoyers et ses gestes concrets pour que l’accès à l’eau soit reconnu comme un droit humain fondamental et inaliénable. En 2005, elle avait lancé en France une vaste campagne de sensibilisation pour “le droit de l’eau libre, potable et gratuite”. Puis, en juin 2010, elle avait décidé avec sa Fondation de prendre en France le relais du mouvement mondial des “Porteurs d’eau” (voir ci-contre), pour que l’eau ne soit plus considérée comme une marchandise mais gérée comme le bien commun de l’humanité toute entière.
On trouvera ci-dessous l’essentiel des propos tenus par Danielle Mitterrand, le 26 novembre 2005 à Carouge, lors de la séance inaugurale publique de l’Association suisse pour le contrat mondial de l’eau. Un message qui garde toute son actualité, qui appelle chacune et chacun à porter sa part de responsabilités dans la protection et la gestion de l’eau, et qui longtemps encore entretiendra en nous le souvenir d’une femme passionnée de batailles pour la vie.
Bernard Weissbrodt
“Nous voulons éveiller les consciences des populations et des gouvernants. S’ils ne nous entendent pas, les populations s’en chargeront.”
“Ces dernières années, on a fait du bon travail. On a émis des propositions, la conscience s’est éveillée aux problèmes de l’eau, à leur urgence et aux priorités à leur donner. Le nombre des associations militant ensemble pour cette cause ne cesse de croître. En France, on les voit faire pression ou convaincre les élus locaux de résister aux multinationales. On constate un retour de la gestion de l’eau dans les municipalités et l’action que nous menons tous n’y est pas étrangère.
En France, nous avons lancé une campagne pour le « droit de l’eau », libre, potable et gratuite. C’est un élément constitutif de la vie, il doit être libre et respecté. Or l’eau ne l’est pas dès qu’il y a des agressions pour la faire payer ou la mettre en bouteilles. L’eau ne peut être une marchandise, c’est un bien commun de l’humanité. Quiconque va à l’encontre de ce principe viole la liberté de l’eau.
Potable ? C’est manquer de respect à l’eau que de la polluer. Or 80% des rivières et 60% des nappes phréatiques sont pollués. On ne manque peut-être pas d’eau, mais on manque en tout cas d’eau potable. Le seul moyen de remédier à cela est de repenser la politique économique et de résister à la pensée unique qui veut que tout soit profit au détriment des populations, de l’environnement, de l’intérêt général. C’est une véritable résistance qu’il faut mener ensemble pour que ce consumérisme qui nous fait bientôt étouffer sous nos déchets retrouve un rythme équilibré pour les besoins de chacun. Et en tout cas pas pour le profit toujours plus grand de certains au détriment de tous.
Gratuite ? On dit que nous sommes utopistes, que l’eau a un coût. Oui, mais c’est du ressort du service public. Et si l’on fait campagne pour le retour de l’eau dans le service public, c’est parce que c’est lui qui a la charge de répondre à l’intérêt général et de gérer l’eau pour les populations. On nous dit aussi que ça coûte très cher d’apporter l’eau au monde entier. Oui, mais quand on pense que mille milliards de dollars sont dépensés chaque année pour le budget mondial de l’armement, on se dit qu’il suffirait de un pour cent de ce budget pendant quinze ans pour que le monde entier ait de l’eau à sa disposition. Tout est question de volonté politique.
Nous voulons éveiller les consciences des populations et des gouvernants. S’ils ne nous entendent pas, les populations s’en chargeront. Ils doivent répondre et commencer par faire inscrire le droit à l’eau dans les constitutions nationales, comme dans la Constitution européenne. Quand on va dans les sommets – Rio, Johannesburg ou autres – on nous parle de besoins. Mais un besoin n’est pas obligatoirement à satisfaire tandis qu’un droit doit être respecté. Tant qu’on n’aura pas obtenu cette inscription dans les constitutions, la volonté politique pourra nous échapper. Mais nous sommes convaincus qu’il est impossible que cette volonté politique ne s’exprime pas pour la survie de l’humanité et de la Terre.
Les multinationales sont agissantes, particulièrement en France. Mais pourquoi la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et autres organismes financiers insistent-ils tellement pour que ce modèle français se répande dans le monde entier ? Avec des injonctions du genre : vous n’aurez de subventions que si vous privatisez ? Cela est inacceptable !
Les peuples des pays en développement ont très vite compris. Regardez les Boliviens, les Uruguayens, les Argentins, les Brésiliens. Ils ont dit à leurs gouvernements qu’ils ne voulaient pas de multinationales chez eux. Les contrats sont en train d’être déchirés. En Bolivie, un homme fait campagne pour la présidence avec un programme de non privatisation de l’eau. En Uruguay, 65% de la population se sont prononcés par référendum contre toute privatisation des ressources naturelles. Le président argentin ne mâche pas ses mots pour dire qu’il ne veut pas de ce modèle ni de cette politique de privatisation.
C’est un long travail, un travail de terrain. On laboure, on parle, on rencontre des problèmes, et on sème les éléments d’une réflexion. On verra ensuite comment cette réflexion se changera en actes. Continuons. Ensemble.”
Danielle Mitterrand
Carouge, 26 novembre 2005.
(Propos notés par Bernard Weissbrodt
photos FAME 2005 et ACME-Suisse)