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2 septembre 2008.

Bénin : "et si on s’occupait d’assainir enfin les lieux publics ?"

2008, décrétée par l’ONU Année internationale de l’assainissement,

2008, décrétée par l’ONU Année internationale de l’assainissement, touche bientôt à sa fin. Peut-être aura-t-elle davantage fait prendre conscience à l’humanité des risques auxquels elle s’expose du fait que des millions de gens soient privés d’accès aux plus rudimentaires des installations sanitaires. En tout cas, au Bénin, le constat est flagrant : rien ne sert de chercher quelque toilette publique convenable sur les marchés, dans les établissements scolaires et universitaires, les salles de spectacle, voire même les hôpitaux… D’où le plaidoyer de Bernard Capo-Chichi pour un minimum d’équipements salubres sur les lieux et places publics, dans les villes comme dans les campagnes.

Voyez par exemple le marché Dantokpa de Cotonou, l’un des plus grands de la sous-région. Il se tient tous les trois jours et accueille pas moins de cent mille personnes (oui, 100’000) sur un espace de quelques hectares. Jetez aussi un coup d’œil à l’Université d’Abomey-Calavi où se côtoient quotidiennement plus de vingt mille étudiants. Allez voir aussi du côté des auto-gares …

Ces lieux de grande fréquentation disposent-ils des services de base adéquats (latrines, lavabos, eau potable) en mesure de satisfaire les besoins physiologiques des usagers ? Plus prosaïquement : une fois loin de chez soi, est-il possible d’étancher sa soif, de faire pipi, ou d’aller à la selle ? Des enquêtes menées sur place, complétées par les témoignages de quelques usagers, m’ont permis de dresser un constat qui donne littéralement la chair de poule :


 dans 50% des cas, il n’y a sur place ni eau potable ni installation sanitaire
 dans 30% des cas, les installations sanitaires sont défectueuses, insuffisantes et dans un état d’insalubrité à couper le souffle
 dans 15% des cas seulement, les installations sanitaires sont relativement acceptables ; seule celle réservée au chef et aux hôtes de marque est irréprochable
 dans 5% des cas, donc très rarement, les installations sanitaires sont propres et fonctionnent bien.

Un sale coup pour la santé et l’environnement

En clair, l’accès à des installations sanitaires convenables sur les lieux publics n’est au Bénin ni chose aisée ni chose acquise et on devine quelles en seront les conséquences aux plans sanitaire, hygiénique et environnemental. Cette non disponibilité expose les populations à de graves ennuis de santé personnels à quoi s’ajoute le fait qu’à leur corps défendant elles dégradent l’environnement immédiat.

Places publiques, plages, rives des cours d’eau, caniveaux, coins et recoins, murs des enclos, terrains vagues : tout endroit est rapidement converti en lieux d’aisance de fortune. Sous les effets combinés du soleil et de la chaleur, ces lieux exhalent des odeurs de matières fécales et d’urine. Et quand arrive l’hivernage, les eaux pluviales se chargent d’en faire la dissolution chimique pour produire un bouillon de cultures bactériologiques générateur d’épidémies.

Pas de quoi, ensuite, s’étonner que dans les villes les maladies diarrhéiques deviennent endémiques et cycliques. L’année 2008 n’a pas échappé à la règle : depuis juillet une sévère épidémie de choléra sévit dans les quartiers insalubres de Cotonou, à Ayélawadjè notamment. Ce sont là des impacts directs de l’insalubrité ambiante et généralisée due au manque d’hygiène et d’installations sanitaires adéquates.

Plaidoyer pour des actions urgentes

Comment en est-on arrivé là ? Par négligence ou ignorance des autorités ? À cause d’actes de vandalisme des usagers ? C’est pourtant une affaire d’éducation, éthique et esthétique, qui ne devrait échapper à personne. Et il faudrait agir très vite car les soins de santé coûtent plus cher que la prévention. À chacun de prendre ses responsabilités et de s’engager selon ses moyens dans cette bataille pour la salubrité publique :


 aux responsables des municipalités et des services publics de mettre à la disposition des usagers des installations sanitaires publiques bien entretenues et de veiller à leur bon fonctionnement ;
 aux responsables des écoles, des universités, des ateliers d’apprentissage de mener, à travers les programmes d’éducation, une véritable promotion de l’hygiène et l’assainissement de base ;
 aux usagers, par civisme, de faire le meilleur usage des installations sanitaires auxquels ils ont accès.

Peut-être, alors, que l’Année internationale de l’assainissement ne sera pas une année perdue comme tant d’autres. Ce n’est vraiment dans l’intérêt de personne.

Texte et photos
Bernard Capo-Chichi




Infos complémentaires

Si le message est clair, il ne propose en revanche aucune alternative


:: « Les solutions
de la débrouille »

 Noëlle, la cinquantaine dépassée, usager de longue date du marché Dantokpa : Les latrines publiques sont à mille lieux d’ici très sollicitées, défectueuses et malpropres. Moi, je jouis de l’amitié de ma voisine ; elle habite tout près du marché ; sa toilette est propre. Quant à l’eau potable j’en apporte de chez moi. Le marché ne propose comme eau de boisson que des eaux en sachet dont je me méfie.

 François : Mon épouse participe ces jours-ci aux corrections des épreuves du baccalauréat au lycée de Porto-Novo et elle y passe toute la journée. Là-bas il n’y a ni eau ni toilette disponible. Pour ne pas avoir des problèmes d’ordre physiologique, elle évite de boire et de manger avant de quitter la maison.

L’entretien des latrines, c’est aussi de l’éducation...

 Anselme, directeur d’un collège dont l’effectif du corps enseignant dépasse la cinquantaine : les enseignants font mauvais usage des latrines, les laissent dans un état sinon plus déplorable que celles des élèves. Lavabos et éviers sont hors d’usage.

 Joseph : J’habite Porto-Novo et pars travailler tous les jours à Cotonou. Dans mon service seul le chef a droit à la toilette. Je cours vite à la plage pour me mettre à l’aise

La liste des témoignages recueillis n’est pas exhaustive, je passe le reste par pudeur. Chacune et chacun aura compris qu’il y va à la fois de la santé des gens et du respect de leur dignité.

B.C.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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