Dans le calendrier de l’ONU, les années internationales se suivent et sont généralement presqu’aussitôt oubliées. Qui s’est rendu compte que 2012 était consacrée aux coopératives et à l’énergie durable pour tous ? Et qui donc s’intéressera à 2013, proclamée année du quinoa, mais placée en même temps sous le label de la coopération dans le domaine de l’eau ?
De prime abord, on ne voit pas bien ce qui pourrait relier ces deux thématiques mises à l’enseigne de cette année nouvelle. Mais, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que la promotion du quinoa (voir ci-contre) et la coopération dans la gestion de l’eau ont au moins un point commun puisque, chacune à sa manière, a entre autres ambitions de garantir la sécurité alimentaire et de proposer des moyens de réduire la pauvreté des populations privées d’un digne accès à une nourriture suffisante et à une eau saine.
S’agissant de celui de ces deux thèmes qui nous intéresse le plus ici - la coopération internationale dans le domaine de l’eau - cette nouvelle initiative des Nations Unies s’ajoute à une liste de bonnes intentions ouverte il y a une trentaine d’années afin de fournir à chaque habitant de la planète un accès à l’eau potable et à un minimum d’équipements sanitaires.
Une première décennie de l’eau, décrétée par l’ONU en 1980 et privilégiant la formule du "un peu d’eau pour tous plutôt que beaucoup pour quelques-uns", se clôt sur un échec patent. À l’orée du 21e siècle, les gouvernements de la planète se fixent un nouvel objectif, revu à la baisse car on ne vise plus - à l’horizon 2015, c’est-à-dire après-demain - qu’à satisfaire les besoins en eau potable de la moitié seulement des personnes qui n’ont pas les moyens de s’en procurer.
Même si des progrès notoires ont été accomplis durant une nouvelle décennie inaugurée en 2005 sous le slogan de "L’eau, source de vie", on est encore bien loin du compte, particulièrement en Afrique subsaharienne. Une personne sur six dans le monde est condamnée à s’approvisionner à des sources d’eau insalubre. Et l’accès à l’assainissement, malgré l’année 2008 qui lui a été consacrée, reste et restera encore longtemps largement en-deçà des engagements annoncés (voir ci-contre les perspectives pour 2050).
2003 - Année de l’eau douce - a peut-être cependant marqué un tournant dans l’opinion publique quant à la perception des enjeux et des défis autour des problèmes de l’accès à l’eau et de sa gestion. On ne peut que s’en réjouir et applaudir les institutions publiques et privées qui, sur le plan local, ont dans ce domaine fait de gros efforts d’information, à commencer par les distributeurs d’eau confrontés à des réalités techniques et économiques de plus en plus contraignantes.
Mais, au plan international, les constats posés il y a dix ans restent encore et toujours d’actualité : la volonté politique nécessaire pour inverser les tendances de ce que l’on a coutume d’appeler "la crise de l’eau" - alors qu’il s’agit d’abord d’une crise de gouvernance - continue de faire cruellement défaut.
À l’époque, le premier Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau dénonçait "l’inertie au niveau des dirigeants". L’Assemblée générale des Nations Unies fait à peu près le même constat, au moment de lancer l’Année internationale de la coopération dans le domaine de l’eau, quand elle se dit "préoccupée par la lenteur et l’inégalité des progrès accomplis" dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement.
À quoi sert-il de proclamer, comme l’a fait l’ONU en 2010, que "le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme" (*) si en même temps les États rechignent à appliquer le paragraphe suivant de cette même résolution qui leur demande "d’apporter des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies" qui permettront à tout un chacun de bénéficier des services de l’eau ?
Passer de la parole aux actes est le véritable enjeu de cette année de la coopération dans le domaine de l’eau. Mais, selon l’ONU, le mot coopération doit être compris ici dans un sens large et non pas seulement sous l’angle des relations de solidarité entre pays industriels et pays en développement, ou celui de l’action humanitaire urgente.
Cela signifie notamment que la gestion de l’eau, en tous lieux,
réclame la participation de tous ses acteurs, non seulement des décideurs politiques, experts et gestionnaires techniques, mais également des citoyens et des usagers,
implique la recherche d’un équilibre dans la répartition des ressources hydriques entre les impératifs de la rentabilité économique, de l’équité sociale et de la préservation de l’environnement,
s’applique à tous les secteurs de l’eau (approvisionnement en eau potable, usages agricoles et industriels, production d’énergie, loisirs, etc.) et à toutes les échelles géographiques, de la gestion intercommunale à celle des systèmes fluviaux transfrontaliers en passant par les bassins versants régionaux.
Une année ne suffira manifestement pas à donner à un tel programme une impulsion durable. Tout au mieux, dans le contexte d’incertitudes que connaissent nombre de pays, laissera-t-elle entrevoir une meilleure compréhension de la nécessité de coopérer davantage dans le domaine de l’eau pour promouvoir la paix, la sécurité et le développement économique. Il serait par contre franchement illusoire d’espérer, à coup de slogans, un changement radical des mentalités et des pratiques. Demeure, malgré tout, cette conviction inébranlable que l’eau unit plus souvent les peuples qu’elle ne les divise.
Bernard Weissbrodt
(*) Résolution 64/292 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 28 juillet 2010. > Lire
Sur ce même thème de la coopération, voir aussi l’éditorial de novembre 2012, Diplomaties bleues