Dans son Burkina Faso natal, Koudbi Koala a créé voici 20 ans une association, un centre d’apprentissage et quasiment tout un village baptisé « Benebnooma ». Ce qui, en langue moré, signifie « c’est bien d’avoir des gens avec soi ». Ou, en plus concret, « un doigt ne peut laver tout le visage ».
Justement. Pour se laver, il faut de l’eau. Mais, là où vit Koudbi, il ne pleut que trois mois de l’année et la majeure partie des gens de sa région ont de plus en plus de mal à en trouver, de l’eau.
D’où ses préoccupations immédiates : comment retenir l’eau de pluie, comment faire pour que tout un chacun ait accès à l’eau, comment respecter l’eau, élément sacré de la nature et de la vie ? Pour leur trouver une solution, mieux vaut, là aussi, s’y mettre à plusieurs et mobiliser le monde entier.
Un bien commun, non une marchandise
Dans l’hémisphère nord, les interrogations sont davantage posées en termes politiques. Pietro Folena, député au Parlement italien, est bien placé pour parler des problèmes auxquels les municipalités de son pays doivent aujourd’hui faire face, elles qui ont été quasiment mises en demeure d’engager leurs services d’eau sur les voies du marché.
« Comment faire face à la privatisation de l’eau ? » se demande-t-il. Sinon en rappelant que l’eau est un bien naturel commun de l’humanité et que rien ne peut justifier qu’on en fasse une marchandise et qu’on retire profit de son commerce. La seule manière de contrer ce risque ne serait-elle pas de faire en sorte que les services de l’eau restent sous le contrôle des collectivités publiques et non sous celui de sociétés transnationales qui n’ont pour objectif que la seule rentabilité commerciale.
C’est l’une des ambitions du 2e Forum alternatif mondial de l’eau que de promouvoir de nouvelles formes de financements, publiques et durables, et des modes de gestion démocratiques du domaine de l’eau, cela à tous les niveaux de l’organisation politique, de la commune à l’État, jusqu’aux institutions intergouvernementales.
Jeter des ponts entre les mondes
Pour Savio Wermasubun, de l’organisation Business Watch Indonesia, « il importe de bien voir les différences entre pays en développement et pays industrialisés, qu’il s’agisse de leurs contextes sociopolitiques, de leurs moyens technologiques et de leur capacité financière ». Si l’on veut bâtir une relation efficace entre ces deux mondes, une véritable solution alternative doit absolument prendre en compte ces trois critères.
Quand il veut parler des problématiques hydriques du nord et du sud, Emilio Molinari, juxtapose deux images. La première, qu’on aimerait voir de moins en moins : ces femmes d’Afrique ou d’ailleurs qui passent chaque jour de longues heures à chercher de l’eau dans des puits souvent fort éloignés de leur maison. La seconde, que l’ancien sénateur milanais voit hélas de plus en plus souvent dans les rues de sa ville : ces femmes âgées qui rentrent du supermarché portant à bout de bras de pesants paquets de bouteilles d’eau minérale.
Lors de sa réunion de la mi-octobre, le comité international responsable des objectifs politiques du Forum a donc pu mesurer un peu mieux les défis qui - en plus d’une plus grande ouverture aux cultures, besoins et capacités du Sud - l’attendent sur la voie d’une véritable action alternative mondiale.
Mieux assurer la représentativité des femmes, des jeunes, des scientifiques et autres professionnels de l’eau. Ou encore, être davantage attentifs aux aspects liés à la « sacralité » de l’eau. Mais aussi, et surtout, se mettre toujours plus à l’écoute de ceux qui luttent quotidiennement pour un meilleur accès à l’eau. Leur donner la parole pour qu’ils disent leur vécu concret, leurs expériences, leurs échecs et leurs réussites. Et susciter ainsi une plus vaste solidarité à l’échelle de la planète.
Bernard Weissbrodt