Tohouès, c’est un véritable "trou" qui donne des cauchemars aux fonctionnaires. Un mariage entre l’homme et son milieu naturel, le fleuve. Sans eau potable ni latrines, privés de voies d’accès dignes de ce nom. Les Tohouènou s’y accrochent pourtant comme une ventouse car l’agriculture de décrue représente leur principale source de richesse. Une agriculture de subsistance certes, mais dont l’un des atouts est de ne nécessiter aucun intrant particulier. Les habitants de Tohouès redoutent évidemment les inondations consécutives aux crues mais ils s’en remettent aux "tovoudous", les divinités des eaux, pour que leurs cultures soient toujours plus fructueuses.
C’est généralement en juillet, et plus encore en août, que l’Ougbo sort de son lit et envahit les terres parfois de manière dévastatrice. Hommes et bêtes se réfugient alors dans des habitations sur pilotis et se déplacent d’un point à autre de l’arrondissement sur de petites embarcations de fortune. Ce qui permet aux Tohouènou de s’adonner à la pêche aux carpes, silures et autres lottes.
En novembre, quand s’amorce la décrue du fleuve, les eaux se retirent loin des habitations, laissant une vaste vallée riche en alluvions et bien fertilisée, propice à des activités agricoles qui représentent d’appréciables sources de revenus familiaux. Maïs, légumes, fruits, niébés et haricots sont l’objet de spéculations de toutes sortes sur les marchés environnants et les Tohouènou reconnaissants ne manquent de faire au début de chaque année leurs offrandes rituelles à leurs divinités.
Les crues, dont l’ampleur est la plupart du temps imprévisible, peuvent devenir parfois catastrophiques et meurtrières en cas de pluviométrie abondante. Celles de juillet 2010 sont encore bien présentes dans la mémoire des Tohouènou. Cette année-là, les inondations ont durant trois mois soumis l’arrondissement à un véritable état de siège durant lequel les habitants ont vécu sur barques ou pilotis dans l’attente de la décrue. Elles ont bien évidemment occasionné d’importants dégâts matériels : pertes de récoltes et de cultures. Mais tout cela ne suffit pas à décourager des populations très attachées à cette vallée nourricière car, disent-elles, ces grandes crues sont toujours suivies d’une décrue plus profitable encore aux activités agricoles : "Tohouès, c’est comme les yeux de la tête, ça ne se négocie pas".
L’envers
du décor
Le fleuve, principale source d’approvisionnement en eau domestique, sert hélas aussi de poubelle pour des déchets en tous genres. Il n’est pas difficile d’en deviner les conséquences pour la santé des Tohouènou. L’eau des forages d’eau aménagés çà et là s’est révélée impropre à la consommation, pour les gens comme pour les animaux. Tohouès vit dans l’eau et vit de l’eau certes, mais elle manque d’eau potable. L’électricité et les toilettes sont ici un luxe que ne peuvent s’offrir que quelques privilégiés.
À ce constat, les Tohouènou, qui n’ont guère d’autre choix, répondent par l’humour et l’amertume : "Quand il faut éteindre un incendie, peu importe la qualité de l’eau !". Ce qui ressemble plutôt à une manifestation de dépit et de mécontentement face à l’incurie des pouvoirs publics pour lesquels Tohouès n’existe tout simplement pas.
Le chef d’arrondissement lui-même reconnaît pourtant que sa région recèle bien des atouts économiques et touristiques à développer et à faire découvrir : c’est un vrai grenier de produits agricoles et de pêche. Dans les nombreux cours d’eau et lacs de la commune de Ouinhi on trouve des crocodiles, des hippopotames, des lamantins d’Afrique, et sur leurs berges de nombreuses colonies d’oiseaux, dont les pique-bœufs à bec jaune. Plusieurs sources d’eau thermales et minérales n’attendent également qu’à être mises en valeur.
Un mot encore sur le véritable atout humain de Tohouès : sa jeunesse. L’arrondissement dispose depuis peu d’un collège d’enseignement général fréquenté par quelque 600 élèves, filles et garçons, et qui a sorti ses premiers bacheliers à la fin de la dernière année scolaire. Mais les jeunes non scolarisés – et ce sont de loin les plus nombreux de par la précarité ambiante – n’ont souvent pas d’autre perspective d’avenir que de se livrer au trafic frauduleux de produits pétroliers provenant du Nigeria voisin, de conduire des taxis-motos ou de choisir l’exode vers l’un ou l’autre pays limitrophe.
Texte et photos :
Bernard Capo-Chichi
Porto Novo, Bénin