La pression démographique, les changements climatiques, la compétition toujours plus âpre pour le contrôle de la terre et de l’eau, des pratiques agricoles qui appauvrissent et dégradent les ressources naturelles : tout cela laisse présager une probable aggravation de l’insécurité alimentaire mondiale et des défis plus que jamais difficiles à relever.
C’est en tout cas ce que redoute la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui pour la première fois vient de publier un rapport sur les ressources en terres et en eaux à l’échelle mondiale. Il y a dans ce domaine, dit-elle, un déséquilibre croissant entre l’offre et la demande. Le nombre de zones qui arrivent aux limites de leurs capacités de production est en rapide augmentation. Et les taux de croissance agricole tournent au ralenti.
Selon les experts de la FAO, l’avenir de l’agriculture dépend de la réponse que l’on donnera à trois défis : 1. accroître la production alimentaire de 70 % d’ici le milieu du siècle pour faire face à l’augmentation de la population et à l’évolution des habitudes de consommation ; 2. améliorer les moyens d’existence du milliard ou presque de personnes qui de par le monde ne bénéficient pas de la sécurité alimentaire à laquelle elles ont pourtant le plus élémentaire des droits ; 3. freiner la dégradation des terres et des eaux et des grands écosystèmes qui leur sont associés.
S’agissant de la perte de qualité des sols, de l’appauvrissement de la biodiversité ou de la diminution des ressources en eau, les signes avant-coureurs de la crise ne trompent pas. Des hauts plateaux des Andes aux steppes d’Asie centrale, du bassin Murray-Darling en Australie jusqu’au cœur des États-Unis, aucune région ne paraît à l’abri des menaces, sans parler des changements climatiques : on sait qu’ils pourraient modifier profondément les régimes des précipitations et les débits des cours d’eau qui conditionnent les productions agricoles. Sans oublier non plus la concurrence croissante entre les divers usages de l’eau, y compris à l’intérieur même du secteur agricole, entre cultivateurs et éleveurs, entre productions vivrières et plantations de biocarburants.
Il existe certes toute une panoplie de solutions techniques qui permettraient d’évoluer vers une gestion durable des terres et des eaux en conciliant les méthodes performantes de production agricole et le maintien voire l’amélioration de la qualité de l’environnement. Mais l’utilisation des ressources en terres et en eau à des fins agricoles est aujourd’hui et de toute évidence “prisonnière d’un piège politique”.
Car, explique la FAO, si les politiques agricoles ont sans doute répondu efficacement à la demande croissante de produits alimentaires, elles ont eu en même temps des impacts parfois irréversibles sur les ressources naturelles en raison de pratiques culturales non durables, de recours excessifs aux engrais et aux pesticides, et de prélèvements intensifs dans les réserves d’eaux souterraines. Résultat : les capacités de production risquent de s’effondrer.
Les systèmes d’irrigation font également problème : nombre d’entre eux fonctionneraient en deçà de leurs capacités, ils ne seraient pas adaptés aux besoins réels de l’agriculture, leur faible productivité représenterait un considérable manque à gagner en termes d’efficacité de l’utilisation de l’eau et de rendement économique.
On ne le dira jamais assez : plus il est difficile d’accéder aux ressources en terres et en eau, plus les risques d’insécurité alimentaire de la population vont croissant. La FAO est bien obligée de reconnaître que très souvent les politiques agricoles profitent d’abord aux producteurs les mieux lotis. Plus d’un tiers des terres dégradées de la planète se trouvent dans des zones affichant des taux élevés de pauvreté. Et le piège de la pauvreté se referme inéluctablement sur les populations les plus démunies qui doivent se contenter de petites exploitations, de sols dégradés, d’accès limités à l’eau, de ressources humaines et techniques dérisoires, de moyens financiers trop maigres pour acquérir des semences de qualité.
Faim et pauvreté vont de pair. On le sait depuis longtemps. Rapport après rapport, sommet après sommet, on refait le même diagnostic et l’on nous dit à chaque fois que les remèdes existent et qu’il suffirait de les appliquer. Mais, “aucune de ces solutions n’a pu résoudre, ne serait-ce qu’en partie, le problème de la faim, comme le prouve amplement la crise d’aujourd’hui. Le seul point sur lequel tout le monde semble d’accord, c’est que cette crise est probablement en train de s’aggraver”. Cet amer constat, signé de Susan George dans son livre ’Comment meurt l’autre moitié du monde’, date déjà du milieu des années 1970. Fatalisme ? Assurément non. La faim et la pauvreté ne sont pas inévitables, écrivait alors la militante altermondialiste : “elles sont provoquées par des forces identifiables que les hommes peuvent maîtriser”. À condition toutefois de se demander d’abord à qui donc profite la crise.
Bernard Weissbrodt
:: Références
– ‘L’état des ressources mondiales en terres et en eau pour l’alimentation et l’agriculture’ fait l’objet de pages spéciales sur le site de la FAO et sous l’acronyme SOLAW (The state of the world’s land and water resources).
– Le rapport de synthèse 2011 y est disponible en document PDF