D’une édition à l’autre, on retrouve dans le salon aqua pro gaz des ambiances conviviales quasi identiques et des décors commerciaux à peu près semblables, sauf que cette fois-ci c’est l’entier de la surface de l’Espace Gruyère qui était occupé, y compris sa patinoire, au grand dam des amateurs de sports de glace. On y croise, et c’est ce qui fait sans doute la principale originalité de ce rendez-vous, des exposants d’entreprises privées spécialisées dans la fabrication, la fourniture et l’installation d’équipements très performants destinés principalement à des services publics de distribution d’eau potable, d’assainissement d’eaux usées et de réseaux de gaz naturel.
Mais au fil des années, on voit que les équipements du genre tuyaux, canalisations et raccordements en tous genres laissent de plus en plus de place à une panoplie extrêmement variée d’instruments bien moins encombrants et beaucoup plus sophistiqués. L’intérêt des vendeurs privés comme des acheteurs publics semble s’être déplacé, même si ce n’est pas vraiment très spectaculaire, vers l’innovation numérique.
Des stands de plus en plus nombreux font ainsi la promotion de "systèmes de relevé intelligents" (smart-metering, disent les anglophones), c’est-à-dire des capteurs numériques qui permettent de mesurer en continu par exemple la pression et le débit de l’eau circulant dans une conduite, d’analyser simultanément certains de ses paramètres physiques et chimiques (température, conductivité, turbidité, oxygène dissous, teneurs en chlore, nitrate, phosphate ou autres) ou de détecter rapidement d’éventuelles fuites dans les réseaux. À quoi s’ajoutent différents systèmes de communication à distance, de lecture de compteurs et de traitement de données d’une grande utilité pour les surveillants de réseaux mais aussi pour les services de comptabilité qui établissent les factures des usagers.
Peut-on remplacer des canalisations
sans multiplier les tranchées ?
Les innovations étaient aussi à l’ordre du jour des séminaires techniques organisés par les grandes associations faîtières des professionnels de l’eau. Les distributeurs d’eau romands, par exemple, se sont interrogés sur les moyens de poser et de réhabiliter des canalisations autrement qu’en faisant ce que, dans le métier, ils appellent des "fouilles ouvertes".
Aitor Ibarolla, responsable des réseaux au Service de l’eau de Lausanne, évoque en particulier les coûts sociaux de ce genre de travaux qui engendrent des nuisances plus ou moins longues, surtout dans les espaces urbains où ils peuvent considérablement entraver la mobilité des citoyens. D’un autre côté, les conduites d’eau sont sujettes à diverses dégradations qui peuvent entraîner des dommages plus ou moins graves.
Mais la première question à se poser est de savoir, au cas par cas, s’il vaut mieux les remplacer ou les réhabiliter. "C’est un choix cornélien, dit-il. Il faut choisir la bonne solution et l’appliquer au bon moment." Opter pour "l’offre la plus économiquement avantageuse" suppose que l’on prenne en compte plusieurs critères comme la durée de vie de la nouvelle installation, les impacts sur les transports publics et individuels, la durée du chantier ou encore le volume des matériaux mis en œuvre.
C’est là que se pose aussi la question des travaux sans tranchées. "Par rapport à des travaux conventionnels avec fouille ouverte, explique Jean-Michel Balmat, de l’entreprise Colas Suisse, la pose de canalisations sans tranchées présente des avantages indéniables pour le maître d’ouvrage. Le recours à ce type de technologie permet d’effectuer des travaux de manière plus rapide, plus discrète, plus économique et plus respectueuse des usagers et de l’environnement". Il ne fait d’ailleurs aucun doute, à ses yeux, que le critère écologique prendra de plus en plus d’importance dans les années à venir.
La rénovation de la centrale hydro-électrique de Rivaz, dans le Lavaux, fournit à ce sujet un exemple assez spectaculaire de ce qu’il est d’ores et déjà possible de faire aujourd’hui. L’idée de départ était de capter les eaux du Forestay, dans le village de Chexbres, c’est-à-dire 183 mètres plus haut, pour bénéficier d’une chute optimale. Mais il fallait également tenir compte du fait que cette région est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est alors que le choix a été fait d’une variante novatrice pour la conduite forcée, à savoir : un forage dirigé à travers la roche.
Pour Georges Locher, directeur de la société Locher Énergie, le gros avantage de cette solution est qu’elle ne nécessitait qu’un seul chantier placé là où se ferait le turbinage, que sa conduite forcée était entièrement souterraine et donc que cette installation n’avait pratiquement aucun impact sur les vignes et sur le paysage. Les travaux ont pu être menés dans des temps relativement courts (deux jours en ce qui concerne le forage proprement dit), et avec une grande précision grâce à un système d’émetteurs-récepteurs. Et la nouvelle installation a pu être mise en service en 2014.
Et si on traitait aussi les eaux usées
avec des membranes d’ultrafiltration ?
Pour le traitement des eaux usées, les stations d’épuration recourent à toute une série de technologies échelonnées sur plusieurs étapes. Après des opérations où l’on extrait tout d’abord déchets de toutes sortes, sables, graviers et corps gras, puis une décantation qui permet d’évacuer une grande part des matières en suspension, les STEP appliquent un traitement dit secondaire et biologique qui consiste à dégrader le reste des matières organiques par des bactéries et de l’oxygène puis à procéder à une nouvelle décantation.
Mais, à ce stade du traitement et compte tenu des résultats probants réalisés dans la potabilisation de l’eau potable grâce aux techniques d’ultrafiltration par membranes, il est désormais possible de recourir à ces dispositifs membranaires pour séparer l’eau traitée des ultimes boues résiduelles plutôt que de procéder à une seconde décantation.
Vu l’intérêt et l’actualité de ce thème, le Groupement romand des exploitants de stations d’épuration des eaux (GRESE) l’avait retenu comme affiche de son séminaire organisé dans le cadre du salon aqua pro gaz. Cette initiative aura en tout cas permis aux participants de mieux appréhender les avantages et les inconvénients de cette technologie dite des "bioréacteurs à membranes".
Philippe Koller, président du GRESE et cadre des Services industriels de Genève dans le secteur des eaux usées, note par exemple parmi les arguments favorables que ces installations innovantes demandent moins d’espace au sol car plus compactes et que la qualité des eaux rejetées est très élevée. Il estime que cette solution est "bien adaptée aux stations rejetant leurs eaux traitées dans les milieux sensibles comme les stations balnéaires ou les lacs avec des plages à proximité" et que l’eau ainsi filtrée "peut être réutilisée pour l’arrosage municipal, dans le cadre de procédés industriels ou dans le prétraitement pour la potabilisation". Sans oublier qu’elle est d’un très grand intérêt dans le domaine du traitement des micropolluants, sujet dont il est beaucoup question en ce début d’année avec l’introduction d’une nouvelle taxe fédérale sur les eaux usées.
Cette technologie, poursuit Philippe Koller, a toutefois un talon d’Achille : elle consomme en effet beaucoup plus d’énergie que les procédés classiques, parce qu’il faut injecter constamment de l’air dans les installations pour décolmater les membranes qui sans cela seraient vite obstruées. Celles-ci ont par ailleurs une durée de vie assez restreinte et nécessitent de réguliers lavages chimiques de manière à maintenir leur capacité de filtration.
Pendant longtemps ces bioréacteurs à membrane n’ont été utilisés que dans le secteur industriel et semblent encore pour le moment réservés à des stations d’épuration de grande capacité. Il n’y a actuellement qu’une poignée d’installations de ce genre en Suisse, mais cette solution technique paraît promise à un bel avenir : on en compterait déjà plus de 300 en Europe.
Bernard Weissbrodt