Puisatier de village est l’un des métiers de l’eau les plus fréquents au Bénin, aux côtés du jiklonto-jidonto le faiseur de pluie et de beau temps et de la vendeuse d’eau à la criée. Ils sont quelques milliers, cinq mille peut-être sur toute l’étendue du territoire national, à œuvrer au forage de puits dits artisanaux et de fosses septiques.
En général on est puisatier de père en fils. Le matériel de travail, très rudimentaire, se compose sommairement de pioches, houes, burins, marteaux, d’un cordeau solide et d’une puisette. L’essentiel du travail se déroule sous terre loin des regards indiscrets. Serait-ce pour cela que certains l’affublent pompeusement du surnom de « sous-marin » et d’autres ironiquement de « taupe » ?
Travail d’équipe
Le travail se fait en équipe d’au moins deux personnes : le chef d’équipe plus expérimenté, plus fin connaisseur des sciences de l’eau et de la terre, descend au fond du puits et creuse. L’autre, son assistant le plus souvent en apprentissage, tient le rôle de simple poulie et évacue la terre hors du puits au fur et à mesure de l’avancée de l’ouvrage. Il est en quelque sorte responsable de la sécurité et de la vie de son collègue qui se trouve en profondeur. C’est pour cela qu’entre les deux partenaires doivent exister de solides relations de confiance réciproque.
L’un et l’autre doivent offrir les meilleures conditions physiques et physiologiques : ténacité, courage entre autres. Si, à l’extérieur, l’assistant bénéficie de bonnes conditions atmosphériques (le travail se fait évidemment par beau temps seulement), le puisatier, seul au fond du puits, vit en revanche dans un microclimat parfois hostile, fait de chaleur, d’obscurité et de raréfaction de l’air.
L’enfer, sans le diable
Ce qu’explique Célestin, président de l’association des puisatiers d’Abomey-Calavi, seconde ville du pays de par l’importance de sa population : « là au fond, c’est presque l’enfer sans le diable, il y fait très chaud et ça oblige à faire le travail en tenue légère ». Il faut constamment lutter contre le vertige consécutif à la très forte chaleur ambiante et contre l’éblouissement dû à la lumière du soleil vue du fond du puits.
Quand on n’en peut plus, dit-il, « il faut vite sortir du puits, y projeter de l’eau fraîche et refaire le plein d’air des poumons avant d’y redescendre ». Il arrive parfois que le séjour là au fond soit tout simplement intenable. Alors on remet le travail au lendemain aux premières heures de la journée.
Le puisatier n’est pas non plus à l’abri des accidents de travail : rupture de cordeau, chute libre de la charge ou de tout autre objet, terre ou cailloux, chute brutale du puisatier lui-même lorsqu’il entre ou sort du puits ou, beaucoup plus grave, écroulement des parois qui provoque l’ensevelissement du puisatier.
En juillet de cette année, à Atropocoji dans la banlieue de Cotonou, un puisatier a ainsi été enterré vivant suite à un éboulement de terrain et en est mort sur le coup. « Les deux explications que je trouve à cet accident, explique Célestin, en puisatier avisé, sont l’inexpérience de l’ouvrier et Dieu sait qu’ils sont nombreux à jouer les apprentis sorciers, crise économique oblige. Ou alors c’est l’œuvre de Dieu. Son sort est passé par là ».
Ce métier en effet présente bien des risques qui requièrent à la fois la protection divine et surtout l’expérience, une expérience acquise uniquement à force de forer et qui confère une bonne connaissance du terrain.
Le puisatier a encore de beaux jours devant lui
Le métier de puisatier nourrit-il son homme et sa famille ? Réponse de Dossa, originaire de Savalou et spécialiste des régions de collines granitiques : « Avec en moyenne deux puits par mois à 90’000 CFA, voire parfois 120’000 CFA par puits (150 à 200 euros environ), ce n’est pas mal, on se débrouille ». Tous sont unanimes à reconnaître que ce métier est d’abord une occupation, à laquelle s’ajoutent la joie toujours renouvelée de découvrir l’eau en même temps qu’une accumulation d’expériences. Car les puits se suivent mais ne se ressemblent pas. Il n’existe donc pas de recette universelle en la matière. Et c’est là un avertissement aux apprentis sorciers qui pourraient s’aventurer sur ce terrain à risques. Pour joindre les deux bouts pendant la saison morte, le puisatier exécute aussi des travaux de forage de la même veine mais cette fois pour des fosses septiques, des fouilles, des puisards (égouts) et des regards (pour l’entretien des canalisations).
Dans la région d’Abomey-Calavi où ils sont plus nombreux et très sollicités, les puisatiers se sont constitués en association en vue de préserver et de sauvegarder les intérêts du métier, d’améliorer leurs conditions de travail par la modernisation des outils de travail, de souscrire à une assurance-vie en vue de prévenir les incapacités de travail consécutives à des accidents de chantier.
Au Bénin, lorsque les conditions de forage le permettent, tout le monde ou presque possède volontiers un puits artisanal à la maison. Le métier de puisatier a donc encore de beaux jours devant lui malgré l’avènement des robinets, notamment dans les grandes villes, celui des eaux en sachets plastiques qui écument tout le pays et représentent une vraie bombe à retardement pour les populations, ou celui des eaux en bouteille beaucoup plus chères pour le consommateur.
L’importance du puisatier reste à peu près intacte partout. Dans pratiquement toutes les concessions familiales et par mesure de précaution, il existe un puits à côté de l’arrivée d’eau courante. Car à l’ère des ‘délestages électriques’ et des coupures interminables de robinet, il serait vraiment hasardeux de mettre tous ses œufs dans le panier de la société de distribution des eaux.
Texte et photos
Bernard Capo-Chichi