AccueilInfosDossiersCorrection des eaux du Jura : pourquoi, comment ?

27 juillet 2017.

Pionniers d’hier,
acteurs d’aujourd’hui

DOSSIER - CORRECTION DES EAUX DU JURA (5)

LES PIONNIERS D’HIER …

JOHANN RUDOLF SCHNEIDER (1804-1880)
C’est l’homme-clé de la première correction des eaux du Jura. Né à Meienried, sur les bords de l’Aar, il a été confronté dès son enfance aux inondations qui survenaient régulièrement dans sa région. Devenu médecin, il fit rapidement le lien entre ces crues à répétition et les mauvaises conditions de santé des habitants du Seeland. Pour lui, la solution passait clairement par l’assainissement du Grand Marais et la déviation de l’Aar vers le lac de Bienne. Passé plus tard en politique, membre du gouvernement cantonal bernois puis du Parlement du nouvel État fédéral, il réussit peu à peu à convaincre les plus hautes autorités du pays que la correction des eaux du Jura était une affaire véritablement nationale. D’où son surnom de "sauveur du Seeland".

RICHARD LA NICCA (1794-1883)
Choisi par Johann Rudolf Schneider d’abord pour étudier la faisabilité de son projet et ensuite pour le mener à son terme, Richard La Nicca jouissait au 19e siècle d’une solide réputation qui avait dépassé les frontières nationales. Natif du canton des Grisons, il en avait été pendant trente ans le premier ingénieur en chef. Il avait à ce titre supervisé l’aménagement de plusieurs cols routiers alpins et participé à des projets de corrections hydrauliques, notamment sur le Rhin. C’est grâce plus particulièrement à la précision de ses mesures et de ses calculs techniques que le projet de détournement de l’Aar vers le lac de Bienne a pu se concrétiser. Il avait 84 ans lorsque le canal de Hagneck fut inauguré en août 1878.

ROBERT MÜLLER (1908-1987)
D’origine argovienne, Robert Müller dirigeait depuis plusieurs années le département du laboratoire de recherches hydrauliques de l’École polytechnique fédérale de Zürich lorsqu’en 1956 on fit appel à sa grande expertise internationale en ingénierie fluviale pour planifier la seconde correction des eaux du Jura. Il dirigea ce projet jusqu’à son terme en 1973, contribuant à une meilleure maîtrise des fluctuations des lacs jurassiens grâce notamment à sa vision globale des problèmes.


… LES ACTEURS D’AUJOURD’HUI

Réguler des lacs, c’est tenter de répondre à une diversité de besoins souvent divergents, parfois contradictoires : dès que l’on veut gérer les ressources en eau d’une manière globale, les motifs de conflits peuvent surgir entre les territoires d’amont et ceux d’aval, entre les usages de l’eau et son indispensable protection, entre les usagers qui défendent des intérêts contradictoires.

Qu’ils soient au bord des lacs, de l’Aar ou des canaux, les riverains sont évidemment les premiers concernés par la maîtrise des niveaux d’eau ; les corrections ont d’abord été entreprises pour les protéger des crues, pour leur assurer de meilleures conditions de vie et pour qu’ils puissent disposer d’un environnement propice à leurs activités.

Mais qu’en est-il des autres acteurs et usagers ? Les agriculteurs tout d’abord : les corrections successives ont, en principe, mis leurs champs à l’abri des inondations ; mais si le niveau des lacs est trop haut, celui des nappes phréatiques remonte également et menace certaines productions, telles les pommes de terre et les betteraves sucrières ; cette menace est d’autant plus grande lorsque les anciennes terres marécageuses continuent de s’enfoncer. Un vrai dilemme quand on sait qu’une nappe phréatique trop basse accélère la décomposition des sols tourbeux.

Les corrections des eaux du Jura ont permis l’installation de plusieurs centrales électriques au fil de l’eau, non seulement dans le périmètre immédiat des trois lacs, mais aussi sur l’Aar en aval de Bienne. Comme le rendement de ces centrales dépend fortement de la régularité des débits et d’une hauteur d’eau adéquate, la bonne gestion du barrage de régulation à Port est un élément-clé de la stratégie des producteurs d’énergie hydraulique.

Chaque année, plus d’un demi-million de passagers circulent sur les trois lacs et leurs canaux grâce à la vingtaine de bateaux qui y assurent des trajets réguliers et des croisières touristiques (on notera au passage que les trois lacs et leurs canaux adjacents constituent aujourd’hui la plus longue voie navigable de Suisse). Il y a donc nécessité absolue de garantir un niveau adéquat des lacs et un volume d’eau suffisant dans les canaux, ce dont profitent aussi largement les navigateurs privés. Cela implique aussi des travaux d’entretien réguliers des berges endommagées par les vagues produites par les nombreux passages d’embarcations à moteur.

Ce même problème se pose quant aux dommages causés aux milieux naturels. De ce point de vue, personne ne peut nier aujourd’hui que les habitats naturels de la faune et de la flore ont été les grands perdants des corrections des eaux du Jura ; celles-ci ont certes largement contribué au développement humain de toute une région, mais elles ont aussi provoqué l’assèchement du plus grand marais de Suisse et la destruction de zones forestières ancestrales. Aujourd’hui, pour nombre d’écologistes, il s’agit de protéger, et quand cela est possible, de réhabiliter les bas-marais et les roselières dont la survie dépend de leur inondation régulière et d’un niveau relativement élevé de la nappe phréatique : pour eux, la régulation des lacs devrait donc se faire dans le respect de leurs fluctuations naturelles.

Ce ne sont là que quelques exemples - il y en a de nombreux autres [1] - qui permettent de se faire une idée de la complexité d’une gestion hydraulique globale d’un territoire partagé par différentes entités politiques et administratives. Autrement dit – et c’est l’un des principes fondamentaux du développement durable dans la quête de cohérence entre les besoins sociaux, environnementaux, économiques et culturels – les solutions passent nécessairement par la meilleure compréhension possible des points de vue et des intérêts des acteurs concernés, par leur volonté de concertation et, souvent, par la recherche de compromis acceptables par tous. Ce que d’illustres pionniers avaient réussi à faire il y a 150 ans. (bw)




Notes

[1On pourrait par exemple mentionner ici le travail mené durant la deuxième correction par les archéologues, en particulier par la fribourgeoise Hanni Schwab, pour tenter de tirer le meilleur profit scientifique des découvertes faites sur les chantiers de l’époque. L’historien Matthias Nast rapporte que lors de la première correction, suite à l’important abaissement des eaux, "on avait assisté à un véritable pillage des pilotis". La leçon n’a pas été oubliée et les fouilles entreprises dans les années 1960 ont en tout cas permis de mieux appréhender l’histoire de l’occupation humaine de la région, des sites du Néolithique à ceux du haut Moyen-Âge en passant par les vestiges de la colonisation romaine.

Infos complémentaires

Les autres articles de ce dossier
sur la correction des eaux du Jura

1. Les grandes lignes d’un projet réussi
2. Il était une fois … le lac de Soleure ?
3. La première correction (1868-1891)
4. La deuxième correction (1962-1973)

 Voir aussi l’album photos Le long des canaux des Trois-Lacs,
quatre randonnées pour mieux comprendre les réalisations et les effets
de la correction des eaux du Jura.

 Les crédits documentaires et photographiques du dossier
figurent dans les notes complémentaires de l’article d’ouverture
.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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