L’an dernier, Katrina Kremer, doctorante à l’Université de Genève, avait déjà révélé une partie des résultats de ses recherches. Tout est parti de la découverte au milieu du Lac Léman d’une vaste et épaisse couche de sédiments d’un volume atteignant un quart de kilomètre cube (soit, schématiquement décrite, une masse longue et large d’un kilomètre et haute de 250 mètres). Le prélèvement d’échantillons de ces sédiments a permis de dater leur dépôt entre la fin du 4e et le début du 7e siècle. C’est-à-dire dans une période où l’événement du Tauredunum constitue l’unique indice historique d’un accident géologique majeur. Hypothèse corroborée par la quasi certitude que cette couche sédimentaire est arrivée dans le lac d’une manière assez brutale.
Comment l’expliquer ? C’est la question à laquelle l’équipe de chercheurs emmenée par Katrina Kremer tentent de répondre dans l’étude qu’ils publient dans la revue internationale "Nature Geoscience". Cet événement n’est probablement pas dû à l’écroulement d’un pan de montagne dans le lac, mais en amont, dans le delta chablaisien du Rhône. Toutefois le déroulement exact de la catastrophe entre l’éboulement du mont Tauredunum (dans le massif du Grammont) et le déclenchement du tsunami lémanique n’est pas encore totalement élucidé.
Les chercheurs avancent l’hypothèse que le brusque impact de l’éboulement a déstabilisé les sédiments de la zone immergée du delta, lesquels se sont alors décrochés et mis en mouvement dans le lac, déplaçant un très grand volume d’eau et provoquant du même coup une immense lame qui s’est rapidement propagée sur toutes les rives et jusqu’à l’autre bout du Léman.
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- En rouge : progression de la vague (minutes)
en noir : sa hauteur (mètres)
© Kremer & al./ Nature Geosciences
Selon les simulations informatiques qui en ont été faites, une vague de 8 mètres de haut aurait frappé la région d’Évian-les-Bains après seulement une dizaine de minutes et, cinq minutes plus tard, de 13 mètres sur la rive opposée, à Lausanne. Son amplitude aurait ensuite baissé mais repris de plus belle en s’engouffrant dans le rétrécissement du Petit Lac pour atteindre à nouveau les 8 mètres à Genève quelque 70 minutes après son déclenchement. Elle aurait alors dévasté la cité, comme l’ont écrit les deux chroniqueurs Marius d’Avenches et Grégoire de Tours (lire ci-contre).
Les chercheurs genevois sont d’avis que d’autres tsunamis de ce genre se sont produits bien avant l’événement du Tauredunum. Et qu’il n’est pas impossible qu’il s’en produise encore si, d’une manière ou d’une autre, l’équilibre géologique de l’espace lémanique venait à être brutalement modifié au point de déclencher un éboulement sur le delta du Rhône ou sur les rives du lac.
"Notre but n’est pas de faire du catastrophisme, explique Stéphanie Girardclos, maître assistante à l’Université de Genève et citée par le journal Le Temps. Il est seulement de rappeler une réalité. La formation d’une énorme vague est possible de nos jours sur le Léman. Le grand public considère généralement que les lacs sont des surfaces paisibles. Or, tel n’est pas le cas. A partir du moment où vous avez une grande masse d’eau, vous avez aussi un risque de tsunami." (Sources : Nature Geoscience et revue de presse)
Katrina Kremer, Guy Simpson & Stéphanie Girardclos,
"Giant Lake Geneva tsunami in AD 563",
Nature Geoscience, 28 October 2012