Dans les milieux ruraux les paysans jubilent. Mais dans les villes par contre, les organisateurs de spectacles et de cérémonies (véritable sport national en fin de semaine notamment) sont inquiets car le mauvais temps n’arrange pas leurs affaires. Spectateurs et convives sont contraints de rester chez eux.
Voilà pourquoi rencontres sportives, représentations théâtrales, mariages, funérailles, baptêmes et toutes sortes de manifestations doivent être placées sous le parapluie invisible du Djiklonto-Djidonto pour s’éviter toute surprise désagréable. Il faut donc vite s’attacher ses services, ne serait-ce que par précaution.
Applaudi ou dénigré
La veille, le D-D se présente sur les lieux de la manifestation, il « entre en communication » avec les divinités de la pluie, leur propose offrandes et sacrifices afin de conjurer le mauvais temps. Puis, pendant toute la durée de l’événement (24 heures d’horloge parfois), il veille sur l’organisation, scrute le ciel à la recherche du moindre cumulus, l’interpelle le cas échéant à grands gestes de bras. Aux dires de connaisseurs, le D-D disperserait les nuages et les refoulerait vers d’autres horizons.
Si les offrandes et les sacrifices sont acceptés, la manifestation se déroule par beau temps à la satisfaction générale et la fin est saluée par un tonnerre d’applaudissements en guise de remerciements. Le D-D reçoit en retour liqueurs, victuailles, argent ; il gagne en notoriété dans le milieu. Mais si malgré lui la pluie, cette intruse s’invite à la fête et la perturbe, le D-D n’a plus qu’à présenter ses regrets et se retirer discrètement. Bien vite, on lui trouve des excuses, puis on en fait un bouc émissaire. C’est peut-être le fait des jaloux et des concurrents, ou encore le sort contre lequel on ne peut rien. Car le D-D n’a pas que des amis. Des rivaux peuvent contrarier son action en jouant eux aussi les Djidonto (faiseurs de pluie). Dès lors, et pour mettre toutes les chances de leur côté, bien des gens recourent à deux D-D, voire davantage si nécessaire.
Le phénomène D-D ne laisse personne indifférent au Bénin, ni même ailleurs en Afrique occidentale. On y croit ou on n’y croit pas. Mais en tout cas il partage le pays en deux camps:celui de ses partisans et celui de ses détracteurs. Ceux qui prennent sa défense font systématiquement appel à ses services et prétendent y trouver entière satisfaction. Deux fois sur trois.
Le savoir-faire du Djiklonto-Djidonto n’est rien d’autre que l’une des parcelles du savoir endogène africain que les sciences exactes ne s’expliquent pas encore. « Il faut y croire, tout en continuant les recherches », nous dit Nounagnon, enseignant de son état et inconditionnel consommateur de l’expertise du D-D : « Au village, ne pas y croire est faire preuve d’une incrédulité béate ».
Les détracteurs sont cependant les plus nombreux. À les entendre, les D-D seraient des maîtres chanteurs opportunistes, dont les offres de service ne tourneraient qu’autour des cérémonies, fêtes et manifestations où il y a de quoi manger et boire. Curieux, n’est-ce pas ?
Microclimats perturbateurs
Leurs prestations sont aussi très attendues quand il s’agit d’une part de contrer les pluies diluviennes et torrentielles, causes d’inondations catastrophiques, et d’autre part de faire cesser les sécheresses prolongées. Hélas, sur ces deux terrains, les D-D brillent par leur absence.
L’Afrique occidentale connaît ces temps-ci de graves inondations. Mais personne n’a vu l’ombre d’un D-D. « Alors qu’ils aillent au diable ! », s’exclame Albert, étudiant à l’université.
En réalité, la météorologie particulièrement capricieuse pendant cette période de l’année favorise toutes sortes de spéculations. Ainsi, dans la capitale Porto-Novo, on connaît plusieurs cas de figure :
– il pleut dans le secteur nord de la ville tandis qu’il fait beau temps dans le secteur sud
– il pleut dans les deux secteurs de la ville, mais avec des intensités différentes
– un gros orage peut éclater subitement dans un ciel serein, prenant tout le monde à contre-pied
– de gros nuages noirs s’amoncellent, annonciateurs de pluies imminentes, tout le monde court se mettre à l’abri, puis les nuages se dispersent, laissant la place au beau temps.
On se perd donc en conjectures. Et dans chaque cas, le D-D tente d’exploiter la situation à son profit.
Monsieur météo locale
Jadis le Djiklonto-Djidonto régnait en maître absolu, sûr et certain de sa science, notamment dans les villages. Aujourd’hui, à coup de bulletins quotidiens, les services météo rassurent tout le monde sur les prévisions du temps présent et à venir, basées sur des explications scientifiques irréfutables des phénomènes atmosphériques.
Mais dans un pays à fort taux d’analphabétisme, comme au Bénin, chaque fois que Dame Nature annonce la pluie qui tombe … ou ne tombe pas, ou encore chaque fois que la pluie s’invite en jouant les perturbatrices de cérémonies, on ne compte plus ceux qui pensent aux oeuvres d’un D-D plutôt qu’à autre chose. Dans ce pays, le D-D fait partie du paysage culturel et professionnel, au même titre que le puisatier ou la vendeuse d’eau à la criée. Et sa météo locale continuera de diviser l’opinion.
Bernard Capo-Chichi, Cotonou