Le nombre de personnes vivant à travers le monde dans des zones inondables augmente plus vite que celui des populations installées sur des terres surélevées. Et cette tendance risque de s’accélérer dans bien des pays, en particulier en Asie et en Afrique. C’est le constat que pose une équipe scientifique américaine : ses conclusions permettent de mieux comprendre différents facteurs sous-jacents des risques d’inondation.
C’est Beth Tellman, chercheuse à l’Université Columbia de New York, qui avec sept collègues de différentes universités américaines signe l’article paru sur ce sujet dans la revue Nature [1] . Elle est aussi l’une des deux cofondatrices du collectif scientifique Cloud to Street qui s’est fixé pour objectifs de constituer une vaste base de données sur les inondations à travers le monde et de fournir ainsi les informations qui permettront de mieux protéger les populations contre les risques de crues.
Entre 2000 et 2018, grâce à des observations quotidiennes par satellites bénéficiant d’une résolution de 250 mètres (soit 6,25 hectares) et au recours à des outils d’intelligence artificielle, 913 grandes inondations ont été répertoriées dans 169 pays et sur tous les continents, hormis l’Antarctique.
L’équipe de recherche a examiné un à un chacun de ces événements, cartographié la zone inondée, comparé l’évolution au fil des ans du nombre de personnes qui y vivent et les changements survenus dans les activités socio-économiques. Plusieurs éléments - comme des ruptures de barrages, la fonte des neiges ou des précipitations locales - ont été pris en compte alors que cela n’avait pas été le cas dans de précédentes analyses.
Cette étude montre qu’en une quinzaine d’années la population des zones exposées à des inondations a passé de 58 à 86 millions de personnes, soit une augmentation d’environ 34,1 %, alors qu’au cours de la même période la population mondiale n’a augmenté que de 18,6 %. Les chercheurs sont également arrivés à la conclusion que cette tendance va se poursuivre au moins jusqu’en 2030 dans une soixantaine de pays, principalement en Asie et en Afrique.
Augmentation de la fréquence et de la gravité des événements dus au changement climatique, croissance rapide de la population, développement d’activités économiques dans les zones à risque : telles sont les principales raisons avancées pour expliquer les grandes inondations qui touchent souvent de manière disproportionnée les populations pauvres et vulnérables, généralement dépourvues de moyens pour s’en relever d’elles-mêmes.
Au chapitre des bonnes nouvelles, les auteurs de l’étude notent que la capacité des collectivités à gérer les risques d’inondations a augmenté au fil du temps : cela se traduit par davantage d’investissements dans la protection contre les crues, des infrastructures de drainage, des systèmes d’alerte précoce, des normes plus sévères en matière de constructions, un aménagement du territoire tenant compte des risques, des programmes d’aide aux victimes d’inondations, etc. Avec pour conséquence qu’au niveau mondial le nombre de victimes et l’étendue des dommages comparés au nombre de personnes et de biens économiques exposés aux inondations ont diminué au cours des dernières décennies.
Cela dit, les scientifiques reconnaissent aussi les limites de leur travail : les inondations qu’ils ont étudiées ne représentent qu’une partie de toutes celles qui se sont produites au cours de la période étudiée, parce que, entre autres, les observations par satellite ne sont possibles qu’en l’absence de nuages. Un autre problème tient au fait qu’il est difficile de repérer dans le détail les impacts d’inondations dans les zones urbaines : l’un des défis des prochaines études sera donc d’améliorer les analyses de risques dans les villes car les écosystèmes naturels qui autrefois les protégeaient efficacement contre les crues sont de plus en plus menacés par l’extension des constructions. Quant aux populations qui devront faire face à l’élévation du niveau de la mer, la seule option qui leur restera sera sans doute de se retirer des zones inondables.