"Une eau meilleure pour de meilleurs emplois" proclame le slogan de l’édition 2016 de la Journée mondiale de l’eau. Le nouveau Rapport annuel mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, publié ce même 22 mars, le fait sien également, avec ce constat : aujourd’hui un travailleur sur deux, de par le monde, s’active dans un secteur économique lié à l’eau, la plupart des emplois dépendent des ressources en eau, et d’innombrables hommes et femmes de toutes compétences se préoccupent non seulement de l’approvisionnement en eau mais aussi de la préservation de sa qualité.
Pourtant, dit l’ONU, des millions de travailleurs, qui d’une manière ou d’une autre sont quotidiennement concernés par différents usages de l’eau, ne sont très souvent ni reconnus ni protégés par les droits fondamentaux du travail. Il serait donc temps de s’interroger sur l’impact que l’eau peut avoir, en termes de quantité et de qualité, sur la vie et les moyens de subsistance des travailleurs.
Le rapport onusien entend montrer comment la gestion durable de l’eau améliore les économies locales et la santé publique, et ouvre de nouvelles perspectives d’emploi dans tous les secteurs socio-économiques. Il met aussi en évidence que la sécurité et la fiabilité des services de distribution d’eau et d’assainissement sont des facteurs essentiels au maintien d’une main-d’œuvre bénéficiant de la meilleure santé possible.
Au-delà de ces considérations socio-économiques, on peut aussi profiter de cette journée pour s’intéresser d’un peu plus près au travail de ceux et celles (hélas si peu nombreuses dans les sociétés occidentales alors qu’en Afrique, entre autres, ce sont les filles et les femmes qui assurent l’approvisionnement en eau des familles) qui ont choisi l’une ou l’autre des nombreuses professions directement liées à l’eau.
Sourcier, puisatier, fontainier, aiguadier, garde de bisse et autres artisans de l’eau (seraient-ils donc exclusivement masculins ?) ne sont peut-être pas les plus vieux métiers du monde. Quoique. Mais leurs noms ancestraux figurent au palmarès des plus nobles. Porteurs d’eau potable, constructeurs de puits, de fontaines et de canalisations, irrigants : leur savoir-faire remonte à la nuit des temps. On se gardera toutefois de conjuguer leurs actions au passé. Car, disait Giono, ils ont leur métier dans leur chair comme du sang : ‘ils ne peuvent s’en séparer sans mourir’. Il leur inspire à peu près tout : ‘leurs gestes, leurs paroles, leur façon de voir la vie et de l’interpréter’.
Gardons les pieds sur terre. La réalité des métiers de l’eau est vraisemblablement moins poétique que ce qu’on imagine. Œuvrer comme puisatier au Sahel est une vocation à très grands risques pour tous ceux qui s’y lancent et qui la paient parfois de leur vie. Sous d’autres cieux, répartir les eaux d’irrigation de manière équitable entre les cultivateurs et veiller dans les rizières à une hauteur idéale de la lame d’eau synonyme de croissance et de maturation optimales n’est pas de tout repos, techniquement et socialement parlant.
Plus près de nous, certains fontainiers diront peut-être que l’eau est un bien comme les autres et que ceux qui s’en occupent n’ont donc pas plus de vertus ni de mérites que n’importe quel autre professionnel. C’est vrai qu’installer des robinets, réparer des conduites qui ont sauté en pleine nuit ou gérer une station d’épuration n’incitent pas vraiment au lyrisme.
Les métiers de l’eau sont aujourd’hui nombreux et très diversifiés : ils se déclinent d’abord sur toute une gamme de qualifications qui vont du certificat d’aptitudes professionnelles pour les agents techniques aux grades universitaires de haut niveau du côté des hydrogéologues ou des hydrobiologistes, en passant par les diplômes en tous genres dont sont munis les techniciens et ingénieurs qui interviennent dans les divers secteurs de la gestion de l’eau.
Certaines de ces professions relèvent exclusivement du domaine de l’eau, ce qui est le cas par exemple des sourciers et des hydrauliciens. D’autres, après spécialisation, appliquent à ce domaine particulier des connaissances et des techniques qui relèvent de matières plus générales comme les sciences de l’environnement ou la chimie, le droit ou les sciences économiques. Pour d’autres encore, l’eau représente la ressource première de leurs activités, qu’il s’agisse d’irrigation ou de pêche, de production hydroélectrique ou de navigation.
On peut aussi cataloguer ces métiers selon l’objectif qu’ils poursuivent : protéger la ressource dans son milieu naturel, approvisionner la population en eau potable, garantir la qualité de l’eau qui est l’une des principales clés de la santé publique, assainir les eaux usées, gérer les eaux indispensables aux activités humaines (dans l’agriculture, l’industrie, l’énergie, le transport fluvial, les loisirs, etc.), organiser les industries et entreprises actives dans le domaine de l’eau (en particulier dans la distribution et l’assainissement). Sans oublier la recherche académique, y compris dans des disciplines comme la géographie et l’histoire, l’anthropologie ou les sciences politiques.
On l’aura compris, la ressource eau concerne un très vaste éventail de professions qui va bien au-delà des nomenclatures administratives. Si l’on fait abstraction des vocables immémoriaux et des jargons modernes – pourquoi, puisque le mot existe, s’obstine-t-on ici ou là à remplacer le fontainier par un "agent d’exploitation de réseau d’eau" ? – tous les métiers de l’eau relèvent fondamentalement d’une même démarche éminemment sociale : partir à sa quête et lui faire sa place au sein de la maison et de la cité, faire en sorte que chacun y ait accès dans les meilleures conditions possibles et en pleine dignité, pour ses propres usages, son alimentation, ses travaux et son repos. Existe-t-il de par le monde une activité plus noble que celle qui consiste à protéger et à fournir un bien aussi vital que celui-là ?
Bernard Weissbrodt
– Site officiel de la Journée mondiale de l’eau 2016 (en anglais)
– Sur le même thème, voir aussi l’édito
"Eygadiers, puisatiers et fontainiers" (9 octobre 2008)
et l’article "AQUA 2005 : le fontainier, homme de confiance" (12 juin 2005).