Deux jours durant, en juillet, la Maison du fleuve Rhône, à Givors, au sud de Lyon, a accueilli les ‘Rencontres du Réseau Rhône’, consacrées cette année à la dimension dite ’immatérielle’ du patrimoine fluvial : « quelle place réserve-t-on à cet héritage singulier, comment est-il appréhendé pour répondre à des situations originales, comment le valoriser ? »
Les fleuves, c’est évident, ont leur vie à eux. En tout cas, pendant des siècles et des millénaires, ils ont eu tout loisir de suivre leurs cours selon leurs propres humeurs, permanentes ou passagères, furieuses ou paresseuses. Jusqu’au jour où les hommes se sont mis en tête de les domestiquer, de corriger leurs méandres et de modifier leurs débits, avec plus ou moins de réussites, de mauvaises surprises et parfois de désillusions.
Voyez le Rhône en France. Depuis sa naissance, il y a quelques millions d’années, son bassin a traversé toutes sortes d’épisodes géologiques, tantôt recouvert de glaces ou d’eau de mer. Dès la préhistoire, l’homme s’installe sur ses rives, en fait un axe de communication et de transport. Mais le fleuve reste égal à lui-même, avec ses crues et ses étiages. Arrive un jour où l’État se décide à l’aménager pour produire de l’électricité, faciliter la navigation et irriguer les terres. Le Rhône commence alors à perdre peu à peu de son attrait social. « On nous a volé notre fleuve », disent encore aujourd’hui certains de ses riverains. Vient le moment de se le réapproprier.
Que reste-t-il du temps jadis ? À vrai dire, trop peu de choses. Ici et là quelques forêts alluviales, roselières, lônes et autres richesses d’un patrimoine écologique assailli de toutes sortes de menaces. Des vestiges archéologiques, de vieilles embarcations, des croix de mariniers, des outils de pêche et autres objets de musée dont on a totalement perdu l’usage. Mais qu’en est-il de son patrimoine immatériel, c’est-à-dire – pour reprendre la terminologie de l’UNESCO – de ces pratiques, représentations, expressions, connaissances et autres savoir-faire que les sociétés et les individus reconnaissent comme faisant partie de leur héritage culturel ?
Faire l’inventaire d’un tel patrimoine et, le cas échéant, tenter de le revaloriser est une tâche éminemment ardue et complexe. Cela suppose que l’on accorde plus d’importance aux savoir-faire qu’aux objets eux-mêmes, et surtout que l’on fasse place aux praticiens qui incarnent ces connaissances – artisans et artistes, créateurs et poètes – davantage qu’à ceux qui les collectionnent ou les décrivent. Et, dans le cas concret des riverains d’un fleuve, comment faire revivre un tel patrimoine sans le figer dans des modes d’expression d’un autre âge ?
À Givors, on aura évoqué à plusieurs reprises les trois dimensions du fleuve : sa longueur (avec ce que l’aval implique en termes de découvertes), sa largeur (et ses rapports de rive à rive, conviviaux ou conflictuels) et sa profondeur (sa part invisible et tout ce qui en lui convie à l’imaginaire). Le défi qui se pose aux défenseurs du patrimoine, ne serait-ce pas précisément de « rendre visible l’eau qui n’a pas d’existence », dira l’un des intervenants. Entendez : revitaliser le cours naturel et humain du fleuve.
Peut-être devrait-on dans ce but chercher quelque médiateur entre l’homme et le fleuve. À l’exemple des Subalbés, ces pêcheurs peulhs du Sénégal dont la mystérieuse poésie, appelée ‘Pékhane’ chante tout à la fois les magies et les mythes des eaux profondes et les grandes épopées des plus valeureux d’entre eux.
À vérifier donc l’hypothèse de départ qui postule l’existence d’une culture commune aux fleuves et sans doute aussi d’une culture particulière à chacun d’eux. Certains esprits créatifs, au travers d’événements ponctuels de l’amont à l’aval du Rhône et d’autres cours d’eau, s’efforcent déjà de faire prendre conscience aux populations qui longent quotidiennement leurs rives du fabuleux potentiel culturel dont elles sont les héritières, souvent sans le savoir. Un moyen comme un autre de se convaincre que l’homme n’est pas propriétaire des fleuves, mais qu’il leur appartient. Pour le meilleur et pour le pire.
Bernard Weissbrodt
– Le programme de ces Rencontres 2009 peut être consulté sur le site de la Maison du fleuve Rhône
– Lire aussi dans aqueduc.info : Rhône et Lac Léman, patrimoine immatériel ?