Si l’on regarde de plus près les résultats de cette votation cantonale (à laquelle ont participé 40 % des électeurs), on voit qu’un tiers seulement des communes (55 sur 162) ont dit ’oui’ à la nouvelle loi mais que les deux grandes villes du canton l’ont nettement rejetée dans la totalité de leurs circonscriptions : Zurich (400’000 habitants, non à 57,2 %) et Winterthur (110’000 habitants, non à 61,2 %). Le rejet le plus marqué est le fait de la commune de Hochfelden (2000 habitants, non à 70 %), la plus forte acceptation a été enregistrée à Uitikon (4’200 habitants, oui à 66 %).
La campagne qui a précédé cette votation (voir la présentation de ses enjeux sur aqueduc.info) a nettement mis en évidence les clivages entre partis de gauche et de droite. Socialistes et écologistes ont particulièrement mis l’accent sur les risques de privatisation des services publics de l’eau dès lors que la loi ouvrait la porte à des investisseurs privés. À quoi les partis de droite, faisant front commun et accusant les référendaires d’avancer des arguments mensongers, rétorquaient qu’il y avait suffisamment de garde-fous pour empêcher toute ingérence extérieure dans les décisions communales.
Le parti socialiste zurichois a d’ores et déjà annoncé qu’il déposerait sans tarder une initiative parlementaire visant à inscrire dans la législation cantonale que les services d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement doivent absolument rester en mains publiques.
À ce propos, on notera par exemple que le canton de Genève a inscrit en 2012 dans sa nouvelle Constitution le principe selon lequel "l’approvisionnement et la distribution d’eau et d’électricité, ainsi que l’évacuation et le traitement des eaux usées, constituent un monopole cantonal". D’autres cantons ont également écarté toute possibilité de privatisation des services de l’eau : la législation fribourgeoise de 2011 stipule que "les infrastructures d’eau potable approvisionnées par des eaux publiques (…) doivent être propriété des collectivités publiques" et celle du Jura, de 2015, que "l’eau est un bien commun" et que "la gestion des eaux de surface, l’approvisionnement en eau et l’assainissement des eaux sont en mains publiques".
– Résultats officiels des votations du 10 février 2019 dans le Canton de Zurich
Le vote de la loi sur l’eau montre une carte politique du canton de Zurich étrangement tachetée, note le quotidien Neue Zürcher Zeitung : les résultats des communes rurales sont assez semblables à ceux des quartiers urbains votant traditionnellement à gauche en ville de Zurich.
"Le potentiel explosif de l’article sur la privatisation
a été sous-estimé"
Les commentaires des deux principaux quotidiens zurichois sont sévères à l’endroit des partis de la droite majoritaire au sein du Parlement qui a élaboré la nouvelle loi sur l’eau. Pour la Neue Zürcher Zeitung, de tendance libérale, les partis bourgeois [ndlr : ce vocable désigne en Suisse les partis du centre et de droite] n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes : "ils ont commis plusieurs erreurs, dont la plus importante est d’avoir sous-estimé le potentiel explosif de l’article sur la privatisation" [1]. Certes leur intention était de faciliter les fusions de communes, mais dans les faits ils ont ouvert une brèche à ceux qui refusaient la loi : "C’était prévisible. Et il n’est pas surprenant que la campagne de gauche ait été couronnée de succès. Ce qui sent bon la privatisation fait aujourd’hui problème dans l’électorat, même au sein du camp bourgeois."
Du côté du journal indépendant Tages Anzeiger, on souligne que les partis bourgeois feraient bien de se remettre à l’écoute des citoyens : la protection de la propriété était leur principale préoccupation et "grâce à leur confortable majorité au Parlement cantonal zurichois, ils ont ensemble conçu la loi sur l’eau à leur façon. Ils se sont moqués de tout autre argument soulevé par les partis de gauche." Au final, ils ont donc fait naufrage : " Les électeurs n’aiment pas que la majorité impose sa volonté politique sans compromis". Et le journal de souligner que cela survient à un très mauvais moment pour les partis de droite puisque dans six semaines le canton de Zurich élira ses nouveaux parlement et gouvernement. (bw)