« Si vous laissez s’accroître la population en augmentant les surfaces irriguées grâce à des eaux souterraines qui ne sont pas rechargées, à un certain moment vous irez droit dans le mur, et vous récolterez les famines et les troubles sociaux qui vont avec », explique l’hydrogéologue Marc Bierkens, coordonnateur de cette étude.
Sur la base de données mondiales portant sur une quarantaine d’années, les chercheurs ont comparé les estimations des réserves d’eaux souterraines, augmentées des relevés de pluviométrie, de température et d’évaporation, au total des prélèvements pour l’agriculture et autres usages. Ils ont également recouru à des modèles de calcul pour déterminer les taux de recharge des nappes phréatiques et ont ainsi pu noter que la vitesse d’épuisement des réserves globales d’eaux souterraines a plus que doublé entre 1960 et 2000.
Durant cette période, les prélèvements annuels ont passé de 312 à 734 kilomètres cubes (soit plus de 8 fois le volume d’eau du Lac Léman). Mais l’indication la plus intéressante concerne la part annuelle de ces pompages qui n’a pas été renouvelée par les précipitations, à savoir : 126 km3 en 1960, 283 km3 en l’an 2000. Ce qui signifie que les aquifères perdent globalement chaque année 4 km3 de plus que l’année précédente. À ce rythme, disent les chercheurs surpris par l’ampleur de ces résultats, les Grands Lacs nord-américains s’assécheraient en 80 ans !
Ils rappellent que sur la planète les aquifères représentent environ 30 % de l’eau douce disponible contre moins de 1 % pour les eaux de surface. Et que toute réduction de la disponibilité des réserves souterraines pourrait avoir des conséquences importantes, voire catastrophiques, dans un système agricole de plus en plus mondialisé. L’eau des nappes phréatiques risque d’être un jour à un niveau tellement bas pour les petits agriculteurs qu’ils n’auront plus les moyens techniques de la puiser, alors que dans les pays riches on pourra toujours recourir à des technologies même très coûteuses pour se la procurer grâce à des usines de dessalement ou des recharges artificielles des nappes souterraines.
L’étude menée à l’Université d’Utrecht montre que c’est dans le nord de la Chine et du sous-continent indien, au Proche et Moyen Orient, et dans certaines régions des États-Unis (Californie et Midwest) que les nappes phréatiques sont les plus fortement sollicitées. Mais les menaces les plus inquiétantes sont perceptibles plus particulièrement dans les économies émergentes et là où la démographie connaît une forte croissance.
Cet étonnant constat pour conclure : une grande partie de l’eau prélevée dans les aquifères contribue, selon les chercheurs, à l’élévation du niveau des mers, à raison d’environ 0,8 millimètres par an, c’est-à-dire à peu près autant que ce que provoque la fonte des glaciers et des calottes glaciaires, hormis celles du Groenland et de l’Antarctique.
(Source : American Geophysical Union)