Niger : comment domestiquer les ressources en eau
Au Niger, deuxième pays le plus pauvre de la planète, "l’insécurité alimentaire, la faim et la malnutrition sévissent sur une large échelle, principalement en raison d’un manque d’accès aux ressources en eau, tant pour l’irrigation que pour la consommation".
Il n’en demeure pas moins que ce pays possède d’importantes ressources en eau : un grand fleuve, un millier de lacs temporaires et des nappes souterraines accessibles
Si ces ressources en eau étaient mieux domestiquées, relève Jean Ziegler, si les Nigériens pouvaient investir massivement dans l’irrigation à petite échelle, ils pourraient alors "produire des denrées alimentaires, tant du millet que des fruits et des légumes, ce qui aurait une incidence considérable sur la faim et la malnutrition dans le pays".
Le Rapporteur spécial s’est plus particulièrement penché sur des cas d’empoisonnement de centaines d’enfants à l’eau courante, survenus à Tibiri, à 720 km de Niamey. 425 enfants, qui y ont contracté une ostéose fluorée provoquant une déformation des os et la paralysie, enfants sont handicapés à vie.
Cet accident a été provoqué par une concentration extrêmement élevée de fluor dans l’eau distribuée depuis 1984 par les services publics L’eau courante aurait contenu de 4,77 à 6,6 mg de fluor par litre, bien plus que le plafond fixé par l’Organisation mondiale de la santé (1,5 mg par litre).
Bangladesh : les ravages de l’arsenic naturel
Le Bangladesh, pays extrêmement fertile situé dans un vaste delta alluvial, à la jonction des trois plus grands fleuves d’Asie, souffre égale d’une insécurité alimentaire et d’une malnutrition imputables à la pauvreté et au manque d’accès aux ressources.
L’accès à l’eau a cependant été considérablement amélioré grâce aux efforts conjoints de l’État, de l’aide internationale et de la société civile. Des millions de puits tubulaires de petite taille ont été forés dans les villages.
La consommation d’eau a réduit radicalement les cas de maladie d’origine hydrique, y compris la diarrhée. Jean Ziegler a pu également constater que "la disponibilité de plus grands volumes d’eau pour l’irrigation a amélioré la sécurité alimentaire, en rendant l’agriculture possible en dehors de la saison des pluies, et a augmenté la productivité de façon significative".
Hélas, la multiplication des puits a provoqué un autre malheur : l’analyse des eaux souterraines a révélé une vaste contamination à l’arsenic naturel. Des milliers de personnes souffrent déjà d’une terrible maladie qui empoisonne l’organisme en l’espace de 5 à 10 ans, détruisant les organes internes et évoluant à terme en cancer.
" On pense que l’arsenic est naturellement présent dans la roche, qui est lessivée par les grands fleuves qui s’écoulent, en provenance de l’Himalaya et d’autres réservoirs, vers la plaine deltaïque qu’est le Bangladesh, et que la concentration en arsenic y est plus élevée que dans d’autres régions.
Il importe donc aujourd’hui, et de toute urgence, de réduire la dépendance à l’utilisation des eaux souterraines comme eau potable, par exemple en construisant de petites citernes familiales de collecte d’eau de pluie pour la consommation.
Et la question se pose aussi d’une contamination de la chaîne alimentaire : "quelques études ont mis en évidence que si les récoltes, en particulier les fruits et les légumes, sont irriguées avec de l’eau contaminée par l’arsenic, il y a le risque de retrouver cette substance dans les aliments produits".
Brésil : quand le contrôle de l’eau échappe à la population
Le Brésil a beau être, pour reprendre les termes de Jean Ziegler, "l’une des démocraties les plus dynamiques, les plus complexes et les plus bouillonnantes du monde", 22 millions de Brésiliens continuent de vivre en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Ils n’ont quasiment pas accès à des ressources " dont le contrôle échappe à une grande partie de la population".
Le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation met particulièrement le doigt sur la situation de la région semi-aride de Juazeiro dans l’État de Bahia : "a sécurité alimentaire est également menacée par le manque d’accès à l’eau, les familles pauvres ne pouvant compter sur les précipitations que pendant quatre mois de l’année".
"L’Église et des organisations de la société civile ont pris des initiatives importantes visant à construire 1 million de petites citernes familiales destinées au stockage de l’eau".
Jean Ziegler dit toutefois avoir été "alarmé par des rapports selon lesquels des élites économiques et politiques locales, y compris certaines autorités municipales, avaient cherché à interdire ou à bloquer les efforts de la société civile pour construire des citernes", cela afin de sauvegarder le pouvoir de certains protagonistes puissants.
"Cette région du Brésil, peut-on lire dans le rapport présenté à la Commission des droits de l’homme, est depuis longtemps dominée par des relations de clientélisme, des personnes influentes contrôlant l’accès à l’eau, livrée périodiquement par camion aux pauvres en échange de leur appui au moment des élections."
Jean Ziegler souligne que dans de telles situations, "il est nécessaire de briser les schémas de dépendance et de clientélisme qui peuvent limiter l’accès à l’eau" et qu’il faut "faire face de toute urgence à la question de l’utilisation de l’eau et des denrées alimentaires comme moyen de maintenir une autorité et une emprise sur les populations pauvres. (bw)
La version intégrale du rapport de Jean Ziegler
(sur le site du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme)
Observation générale n° 15 (2002)
(document intégral sur le site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme)