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4 avril 2003.

Le droit à l’eau a fait des progrès, constate Jean Ziegler

Dans son intervention à Genève devant la Commission des droits (...)

Dans son intervention à Genève devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, le Suisse Jean Ziegler, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, a notamment mis en évidence le progrès accompli dans le domaine de la protection juridique du droit à l’eau. Il faisait ainsi référence à l’"Observation générale" adoptée en novembre 2003 par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU. Dans son rapport sur le droit à l’alimentation, et plus particulièrement sous le chapitre du droit à l’eau, il évoque trois situations, dans trois continents, où l’accès à l’eau pose d’énormes questions : au Niger, au Bangladesh et au Brésil.

Niger : comment domestiquer les ressources en eau

Au Niger, deuxième pays le plus pauvre de la planète, "l’insécurité alimentaire, la faim et la malnutrition sévissent sur une large échelle, principalement en raison d’un manque d’accès aux ressources en eau, tant pour l’irrigation que pour la consommation".

Il n’en demeure pas moins que ce pays possède d’importantes ressources en eau : un grand fleuve, un millier de lacs temporaires et des nappes souterraines accessibles

Si ces ressources en eau étaient mieux domestiquées, relève Jean Ziegler, si les Nigériens pouvaient investir massivement dans l’irrigation à petite échelle, ils pourraient alors "produire des denrées alimentaires, tant du millet que des fruits et des légumes, ce qui aurait une incidence considérable sur la faim et la malnutrition dans le pays".

Le Rapporteur spécial s’est plus particulièrement penché sur des cas d’empoisonnement de centaines d’enfants à l’eau courante, survenus à Tibiri, à 720 km de Niamey. 425 enfants, qui y ont contracté une ostéose fluorée provoquant une déformation des os et la paralysie, enfants sont handicapés à vie.

Cet accident a été provoqué par une concentration extrêmement élevée de fluor dans l’eau distribuée depuis 1984 par les services publics L’eau courante aurait contenu de 4,77 à 6,6 mg de fluor par litre, bien plus que le plafond fixé par l’Organisation mondiale de la santé (1,5 mg par litre).

Bangladesh : les ravages de l’arsenic naturel

Le Bangladesh, pays extrêmement fertile situé dans un vaste delta alluvial, à la jonction des trois plus grands fleuves d’Asie, souffre égale d’une insécurité alimentaire et d’une malnutrition imputables à la pauvreté et au manque d’accès aux ressources.

L’accès à l’eau a cependant été considérablement amélioré grâce aux efforts conjoints de l’État, de l’aide internationale et de la société civile. Des millions de puits tubulaires de petite taille ont été forés dans les villages.

La consommation d’eau a réduit radicalement les cas de maladie d’origine hydrique, y compris la diarrhée. Jean Ziegler a pu également constater que "la disponibilité de plus grands volumes d’eau pour l’irrigation a amélioré la sécurité alimentaire, en rendant l’agriculture possible en dehors de la saison des pluies, et a augmenté la productivité de façon significative".

Hélas, la multiplication des puits a provoqué un autre malheur : l’analyse des eaux souterraines a révélé une vaste contamination à l’arsenic naturel. Des milliers de personnes souffrent déjà d’une terrible maladie qui empoisonne l’organisme en l’espace de 5 à 10 ans, détruisant les organes internes et évoluant à terme en cancer.

" On pense que l’arsenic est naturellement présent dans la roche, qui est lessivée par les grands fleuves qui s’écoulent, en provenance de l’Himalaya et d’autres réservoirs, vers la plaine deltaïque qu’est le Bangladesh, et que la concentration en arsenic y est plus élevée que dans d’autres régions.

Il importe donc aujourd’hui, et de toute urgence, de réduire la dépendance à l’utilisation des eaux souterraines comme eau potable, par exemple en construisant de petites citernes familiales de collecte d’eau de pluie pour la consommation.

Et la question se pose aussi d’une contamination de la chaîne alimentaire : "quelques études ont mis en évidence que si les récoltes, en particulier les fruits et les légumes, sont irriguées avec de l’eau contaminée par l’arsenic, il y a le risque de retrouver cette substance dans les aliments produits".

Brésil : quand le contrôle de l’eau échappe à la population

Le Brésil a beau être, pour reprendre les termes de Jean Ziegler, "l’une des démocraties les plus dynamiques, les plus complexes et les plus bouillonnantes du monde", 22 millions de Brésiliens continuent de vivre en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Ils n’ont quasiment pas accès à des ressources " dont le contrôle échappe à une grande partie de la population".

Le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation met particulièrement le doigt sur la situation de la région semi-aride de Juazeiro dans l’État de Bahia : "a sécurité alimentaire est également menacée par le manque d’accès à l’eau, les familles pauvres ne pouvant compter sur les précipitations que pendant quatre mois de l’année".

"L’Église et des organisations de la société civile ont pris des initiatives importantes visant à construire 1 million de petites citernes familiales destinées au stockage de l’eau".

Jean Ziegler dit toutefois avoir été "alarmé par des rapports selon lesquels des élites économiques et politiques locales, y compris certaines autorités municipales, avaient cherché à interdire ou à bloquer les efforts de la société civile pour construire des citernes", cela afin de sauvegarder le pouvoir de certains protagonistes puissants.

"Cette région du Brésil, peut-on lire dans le rapport présenté à la Commission des droits de l’homme, est depuis longtemps dominée par des relations de clientélisme, des personnes influentes contrôlant l’accès à l’eau, livrée périodiquement par camion aux pauvres en échange de leur appui au moment des élections."

Jean Ziegler souligne que dans de telles situations, "il est nécessaire de briser les schémas de dépendance et de clientélisme qui peuvent limiter l’accès à l’eau" et qu’il faut "faire face de toute urgence à la question de l’utilisation de l’eau et des denrées alimentaires comme moyen de maintenir une autorité et une emprise sur les populations pauvres. (bw)


La version intégrale du rapport de Jean Ziegler
(sur le site du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme)

Observation générale n° 15 (2002)
(document intégral sur le site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme)




Infos complémentaires

:: "Un fait nouveau et très important"

Pour Jean Ziegler, qui présentait son troisième rapport général sur le droit à l’alimentation, le document adopté par les 18 experts indépendants du Comité onusien chargé de veiller à l’application du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels est un fait "nouveau et très important (…) qui améliorera considérablement le cadre juridique de la protection du droit à l’eau".

Cette thématique, le rapporteur suisse ne l’avait traité précédemment que de façon "préliminaire". Mais la publication de ce document ainsi que les constats qu’il a pu faire lui-même au cours de récents voyages au Niger, au Bangladesh et au Brésil, l’ont amené cette fois-ci à consacrer tout un chapitre au droit à l’eau (paragraphes 36-51).

Le doute n’est aujourd’hui plus possible : pour Jean Ziegler, il est désormais nécessaire de considérer l’eau comme un élément du droit à l’alimentation et d’institutionnaliser le droit à l’eau en tant que droit de l’homme à part entière".

Le rapporteur se dit également très satisfait que l’accès à l’eau pour l’irrigation soit reconnu comme un élément clef du droit à l’alimentation, ce qui est purement et simplement une question de survie pour ceux qui n’ont pour se nourrir que ce qu’ils cultivent eux-mêmes.

Et de recommander, en conséquence, que cette Observation générale n°15" soit largement diffusée et débattue "pour améliorer la compréhension de ce droit" et des obligations de le respecter, de le protéger et de le mettre en œuvre.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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