"Ne parlons pas des problèmes, on les connaît", déclare d’emblée le professeur Riccardo Petrella, cheville ouvrière du Contrat mondial de l’eau : "traduisons l’utopie dans les réalités concrètes".
Deux jours de rencontres ne laissent pas beaucoup de temps à la rédaction de documents. Une esquisse de déclaration finale a été proposée, sa rédaction ultime n’est pas close.
Mais - à partir des quatre ateliers qui constituaient l’ossature de ce premier Forum alternatif, il n’est pas difficile d’en imaginer les grands thèmes : le droit à l’eau, gérer l’eau autrement, l’eau n’est pas une marchandise, l’eau est une richesse culturelle.
Entendu à Florence (notes)
En vrac, quelques idées et opinions entendues au cours de débats, ateliers ou tables-rondes organisés à Florence lors du 1er Forum alternatif mondial de l’eau. Ces notes personnelles ont été rédigées avant la publication des conclusions officielles de cette rencontre
droit à l’eau
la référence fondamentale du droit à l’eau est le droit à la vie : ce droit s’applique à toute la nature, ce ne sont pas seulement les hommes mais tous les êtres vivants qui ont un droit à l’eau
le droit à l’eau existe (voir les documents internationaux), mais il n’est pas inscrit dans les constitutions nationales (que font les élus ?), cela devrait être fait dans les 20 prochaines années
accès à l’eau
l’accès à l’eau (et plus précisément à la quantité du minimum vital, 40-50 litres selon l’OMS) doit être reconnu comme un droit constitutionnel : cette quantité minimale doit être gratuite et, à l’inverse, ceux qui gaspillent l’eau et la polluent doivent en payer le prix
il faut passer de la gestion de la demande d’eau à la gestion de l’offre : il ne s’agit plus de se demander d’abord comment se procurer l’eau dont on a besoin, mais de savoir de combien d’eau l’on dispose et comment on va la consommer
démocratie de l’eau
les écosystèmes (donc l’eau) sont des biens communs, ils doivent être placés sous la responsabilité directe des pouvoirs locaux : il importe pour cela de constituer des assemblées locales citoyennes pour la gestion de l’eau et multiplier les lieux d’expression sur l’eau
les citoyens doivent participer directement ou être représentés dans les décisions qui concernent les politiques de l’eau, et cela à tous les niveaux (conseils consultatifs locaux, régionaux, de bassins versants, etc) et bénéficier dans ce domaine d’un véritable droit de référendum
rôle des parlements
les accords commerciaux seraient-ils au-dessus des lois, quelle est leur légitimité démocratique ? en tout cas, la plupart du temps les parlements (dont on dit aussi qu’ils manquent d’esprit critique) non seulement ne peuvent même plus prendre position sur les offres faites par leurs propres gouvernements à l’OMC (Organisation mondiale du commerce), mais doivent en outre mettre les législations nationales en accord avec les accords internationaux sur lesquels ils n’ont pas le droit de se prononcer
l’eau n’est pas une marchandise
l’eau n’est pas un bien négociable, il faut absolument que les services de l’eau soient exclus des accords commerciaux internationaux, pas question de laisser privatiser la vie et de transformer le citoyen en client
l’utilisation durable de l’eau comme bien commun implique que les financements de ses services soient publics, pas question de laisser la priorité aux investissements privés dès lors qu’il faut assurer le droit à la vie
il faut être inventif, par exemple créer des services publics internationaux dans les domaines de l’eau (mais aussi de la santé et de l’éducation)
il faut privilégier les partenariats public-public : les fameux PPP (partenariats public-privé) ne sont pas une solution car de manière générale c’est le secteur public qui investit et le secteur privé qui en retire les bénéfices
faut-il instituer un impôt mondial sur l’eau ? l’idée est loin de faire l’unanimité ; par contre, aux niveaux nationaux, régionaux ou locaux, sur quelle base financer les services publics de l’eau ? il existe de multiples mécanismes possibles : taxes sur les produits pétroliers, sur les eaux minérales ou sur les mètres cubes d’eau utilisée ? ou plutôt impôt républicain de type progressif (sur une base par exemple de 1 pour 1000 du montant fiscal) ?
eaux en bouteilles
il faudrait imposer une taxe sur les eaux minérales pour aider les pouvoirs publics nationaux et régionaux qui cherchent à améliorer la qualité de l’eau potable et les réseaux de distribution
de manière plus générale, il faut s’opposer à la consommation d’eaux minérales en bouteilles, car ce secteur économique est en train de passer dans les mains de sociétés multinationales : celles-ci obtiennent des concessions d’exploitation à très long terme qui ne sont ni plus ni moins qu’une forme d’expropriation ; pendant des décennies, les pouvoirs publics n’auront plus rien à dire dans la gestion de ces sources
eau et agriculture
on oublie trop souvent que les produits agricoles exportés ont une valeur d’eau : le Maroc, grand exportateur de tomates, est donc aussi, par exemple, un grand exportateur d’eau virtuelle
il faut cesser de subventionner les cultures grandes consommatrices d’eau comme le maïs et à l’inverse encourager financièrement celles qui font des efforts d’économie et mettent en pratique des solutions techniques adéquates
les cultures de l’eau
il faut revaloriser les fontaines publiques et faire en sorte que l’eau fasse à nouveau partie de notre vie collective
l’information générale sur l’eau et l’éducation à son usage le meilleur possible sont insuffisantes : les habitants des grandes villes européennes ne savent même plus d’où vient l’eau de leurs robinets ni où va l’eau de leurs salles de bains
comment changer les modèles de production et de consommation d’eau ? les consommateurs sont-ils conscients de l’impact environnemental des eaux en bouteille ? gaspiller, n’est-ce pas aussi consommer toutes sortes de boissons autres que l’eau avec leurs emballages ?
dans la culture arabo-musulmane, on ne peut pas refuser l’eau même à son pire ennemi, d’ailleurs la pratique de la religion musulmane ne peut se concevoir sans eau (rites d’ablutions) et l’eau ne peut donc y être considérée autrement que comme un véritable bien commun
dans les pays en développement, lorsque les services de l’eau font monter le prix de l’eau, les populations reviennent à leurs puits contaminés, d’où de nouvelles épidémies de choléra
pour faire la guerre à l’Irak, l’armée américaine emmène avec elle des tonnes d’eau alors que sur place nombre d’habitants ont tout juste accès au minimum vital, sans parler des privations d’eau causées par des bombardements et autres actes de guerre
Bernard Weissbrodt
EXTRAITS DE LA DÉCLARATION FINALE
PRINCIPE UN
L’accès à l’eau en quantité (40 litres par jour pour usages domestiques) et de qualité suffisantes à la vie doit être reconnu comme un droit constitutionnel humain et social, universel, indivisible et imprescriptible.
A ce propos, nous saluons avec satisfaction le « commentaire général » exprimé par le Comité des Droits Humains et Sociaux des Nations Unies, selon lequel l’accès à l’eau doit être considéré comme un droit humain.
PRINCIPE DEUX
L’eau doit être traitée comme un bien commun appartenant à tous les êtres humains et à toutes les espèces vivantes de la Planète. Les écosystèmes doivent être considérés comme des biens communs.
L’eau est un bien disponible en quantité limitée au niveau local et global. Aucun profit ne peut justifier un usage illimité du bien. Les gaspillages actuels constituent un vol perpétré aux dépens de la vie. C’est pourquoi, la propriété, le gouvernement et le contrôle politique de l’eau (en particulier la gestion des services hydriques) doivent être/rester publics, sous la responsabilité directe des pouvoirs publics.
C’est la tâche incessible des pouvoirs publics d’assurer et de promouvoir l’usage de l’eau dans le respect des droits humains, y compris ceux des générations futures, de la sauvegarde et de la valorisation intégrée des écosystèmes.
PRINCIPE TROIS
Les collectivités publiques (de la Commune à l’État, des Unions continentales à la Communauté mondiale) doivent assurer le financement des investissements nécessaires pour concrétiser le droit à l’eau potable pour tous et un usage « soutenable » du bien eau.
L’instrument le plus approprié est la mise en oeuvre d’un système fiscal progressif à finalité redistributive à tous les niveaux, du local au mondial, suivant une multiplicité et une modularité des mécanismes de collecte des ressources financières publiques en fonction des besoins et des niveaux territoriaux d’investissement.
Pour cela, il est indispensable - et on ne peut remettre à plus tard - de revoir le rôle et le fonctionnement des institutions financières multilatérales (BM, IMF, BERD, BEI, IBD, ABD...) et de définir de nouvelles institutions de financement de type coopératif inter-territorial et inter-national dans une logique de Partenariat Public-Public.
PRINCIPE QUATRE
Les citoyens doivent participer, sur des bases représentatives et directes, à la définition et à la réalisation de la politique de l’eau, du niveau local au niveau mondial.
La démocratie doit être au centre du « vivre ensemble », même au niveau mondial. On ne peut pas admettre que la mondialisation puisse être globale et réelle en ce qui concerne le commerce, la finance, la production, la consommation, les modes de vie, les flux culturels, alors que la démocratie s’arrêterait au niveau des Etats nationaux ou des continents - Etats, comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie. Le concept de « gouvernance mondiale », mis en vogue par les dominants du « Nord » est une grande mystification.
La démocratie nécessite la promotion d’un « public » nouveau, démocratique, participatif et solidaire et la mise en place de lieux de participation directe, de proximité, qui incluent les citoyens et les communautés locales, les travailleurs et les travailleuses, les organismes locaux, et la valorisation de toutes les formes, différentes, qui, dans les divers continents et pays, représentent la richesse de l’expérience démocratique.