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20 décembre 2009.

La jacinthe d’eau étouffe le lac Nokoué

« Aidez-nous à nous défaire de l’étreinte de la jacinthe d’eau » (...)

« Aidez-nous à nous défaire de l’étreinte de la jacinthe d’eau » s’est écrié le chef de l’arrondissement lacustre de Houédo-Aguékon. Ce jour-là, au début novembre 2009, il emmenait une équipe de jeunes volontaires, tous armés de coupe-coupe, fauchant ou arrachant à la main la jacinthe d’eau.

La commune lacustre de So-Ava connaît depuis environ une vingtaine d’années l’invasion de presque tout son territoire par la jacinthe d’eau, une belle plante aquatique flottante qui a remplacé les nénuphars que l’on trouvait autrefois à la surface du plan d’eau.


Les jacinthes…
Un si beau nom pour ce fléau.
Des algues. Des parasites !
Des plantes inutiles.
Étouffent les ports.
Menacent la navigation.
Un malheur pour les pêcheurs !

     (Wole Soyinka, “Le Maléfice des Jacinthes”)



Une catastrophe écologique

Entre la jacinthe d’eau et la salinité du lac, c’est un véritable jeu de balancier. Le lac est en crue d’août à octobre : le courant d’eau y est rapide et la salinité faible ; la jacinthe d’eau est entrainée et emportée par les flots. De novembre à janvier, quand s’amorce la décrue et que le courant ralentit, la salinité est moyennement élevée. Ces conditions sont alors favorables à la jacinthe d’eau qui peut proliférer. Elle s’installe sur presque toute la surface du plan d’eau, provoque l’obstruction des voies de communication et entrave la circulation, et les activités de pêche s’en trouvent paralysées.

Les populations, bien conscientes et fort préoccupées par cette situation et ses conséquences, recourent à des expressions bien imagées pour la décrire : “toglé” (le pays est gâté, le temps des vaches maigres est arrivé) ou encore “wahunwa” (équivalent d’un “j’y suis et je reste”). Ce qui, pour les pêcheurs du lac, correspond à une période de chômage technique.

De février à avril, c’est la fin de la décrue. La salinité de l’eau est relativement élevée et la jacinthe ne la supporte pas : elle dépérit, meurt, et tombe au fond du lac dont elle dégrade la qualité de l’eau qui devient fétide. Selon les pêcheurs, “là où il y a la jacinthe d’eau, il n’y a pas de poisson”.

Pour résumer, disons que la jacinthe d’eau apparaît comme une puissance végétale prédatrice, colonisatrice et dégradante de l’écosystème aquatique. Autrement dit, c’est un frein au développement socio-économique, une catastrophe pour l’écologie des plans d’eau.

Même les dieux n’y peuvent rien

Au delà du SOS lancé par le chef d’arrondissement qui dans le cas précis cherchait uniquement à dégager les voies de communication de la commune lacustre ‘assiégée ‘, il y a urgence sociale, économique, sanitaire, environnementale du fait de cette ’visiteuse indésirable’ et encombrante. L’opération d’arrachage manuel de la jacinthe d’eau relève à la fois du geste de désespoir et du coup d’épée dans l’eau : « si rien ne gène, la jacinthe vit plus longtemps ; c’est un mal contre lequel nous ne disposons que de moyens rudimentaires, par exemple l’arrachage manuel ; mêmes les divinités locales mises à contribution n’y ont rien pu ».

La lutte contre la jacinthe d’eau ne date pas d’aujourd’hui et revêt bien des formes. Il y un peu moins de vingt ans, on parlait déjà de lutte biologique, en sus de l’arrachage manuel. Cette lutte biologique est efficace, mais lente, voire négligeable au regard de la prolifération et de la croissance exponentielles de la jacinthe d’eau. Sur les plans d’eaux douces, elle est un peu comme les icebergs sur les océans, avec une partie visible et une autre immergée. Ce qui se passe au fond du lac quand la plante se décompose est plus grave encore que sa façon spectaculaire d’en occuper la surface.

Un cycle infernal

Pourtant cette jacinthe d’eau n’est pas tombée du ciel par hasard. Elle n’est que le reflet de l’état de pollution du lac Nokoué et des cours et plans d’eau qui se comportent comme des vases communicants et se renvoient les uns aux autres toutes sortes de matières organiques et de rejets d’activités humaines.

Le lac, cadre de vie des 100’000 habitants des villages lacustres, s’est peu à peu transformé en poubelle-égout. Les déchets qu’on y déverse et les eaux domestiques usées et non traitées dopent la ressource lacustre : tel un jardin fertilisé, le lac exerce comme un appel d’air à la végétation aquatique flottante qui réagit sans tarder. Dans cette compétition naturelle à se « mettre à table », c’est la jacinthe d’eau qui se révèle la plus vigoureuse et la plus robuste biologiquement parlant. Du darwinisme !

L’homme est donc responsable de son propre malheur. Et comme si tout cela ne suffisait pas, les pratiques de pêche artisanales en rajoutent une couche. Les « acaja », jardins à poissons, puis « les trous à poissons », sorte d’aquaculture traditionnelle, servent de suppôts à la jacinthe d’eau qui s’y accroche pour échapper à la dérive des flots.

Le cycle infernal de reproduction de la végétation flottante est ainsi amorcé. Pour une jacinthe d’eau qui disparaît quand monte la salinité de l’eau, c’est une dizaine d’autres qui réapparaissent plus tard, plus fortes et plus tenaces. Pour le chef d’arrondissement, cela signifie plus de défis sociaux, économiques, sanitaires et environnementaux à résoudre. Et peut-être, dans un avenir qui n’est pas lointain, l’obstruction définitive des voies de navigation.

La lutte la plus efficace de toute la panoplie déployée jusqu’ici consisterait, à mon avis, à couper à la source toutes les voies d’alimentation de la jacinthe d’eau en matières nutritives et organiques. Dans le cas d’espèce, cela reviendrait à déménager les villages lacustres sur la terre ferme, puis à protéger les cours et plans d’eau contre les pollutions. C’est facile à dire, mais il faut oser le faire.
En 1979, l’ancien président du Nigeria voisin, Olusegun Obassanjo, de passage à Ganvié, proposa, à la vue de l’insalubrité ambiante et des risques qu’elle faisait courir aux habitants, de subventionner un tel déplacement des villages lacustres. Il ne fut pas écouté. Mais c’est aujourd’hui encore une option à prendre en compte. Dans les cinquante prochaines années, si on n’y prend garde, la jacinthe d’eau obligera les villages lacustres à déguerpir. Alors, de gré ou de force, tôt ou tard, il faut choisir.

Texte et photos :
Bernard Capo-Chichi




Infos complémentaires

La Jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes), appelée aussi calamote, est une plante flottante tropicale d’origine amazonienne. Ses tiges peuvent atteindre jusqu’à un mètre de haut ; ses feuilles épaisses et cireuses peuvent former d’immenses tapis à la surface de l’eau ; ses fleurs sont de couleur bleu lavande avec une pointe de pétale jaune. Elle connaît une croissance et une prolifération extrêmement rapides, d’où sa classification comme plante invasive. Elle est désormais considérée comme un véritable fléau en plusieurs régions du monde, de la Floride à l’Australie, en passant par l’Afrique de l’Ouest et l’Indonésie.




:: Repères

 Houédo-Aguékon est l’un des sept arrondissements de la commune lacustre de So-Ava, la plus grande des cités lacustres du Bénin, sorte d’agglomération de villages lacustres bâtis sur pilotis en plein lac, le lac Nokoué. La commune s’étend sur une superficie de 218 km2 et compte quelque 100’000 habitants, tous pêcheurs, les Tofins ou Tofinous.

 À So-Ava, les déplacements entre concessions d’un même village ou entre villages d’arrondissements voisins se font en pirogues ou en péniches. Chaque famille dispose d’au moins une pirogue.

 Ganvié, le plus connu sans doute des arrondissements, d’ailleurs baptisé « la Venise africaine », est l’une des grandes attractions touristiques du Bénin.

 Le lac Nokoué se caractérise quant à lui par sa position géographique particulière entre, au nord, une rivière d’eau douce, la So, et, au sud, les eaux saumâtres de l’Océan Atlantique. Il en subit les deux influences et, jadis, était très poissonneux.

Bernard Capo-Chichi,
sur le Lac Nokoué

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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