Ce troisième rapport mondial, qui cette fois-ci a pour titre « L’eau dans un monde qui change », a pour ambition d’offrir à chaque fois une évaluation la plus complète et la plus actualisée possible des ressources en eau douce de la planète. Sa rédaction est le fruit de la collaboration entre une bonne vingtaine d’agences et d’offices spécialisés des Nations Unies coordonnés sous l’égide d’un programme spécial de l’UNESCO. Directeur général de cette dernière, Koïchiro Matssura ne se montre guère optimiste. À l’entendre, le domaine de l’eau souffrirait de trois graves carences : le manque d’intérêt chronique du monde politique, la mauvaise gouvernance et le sous-investissement.
Certains pays atteignent déjà les limites de leurs ressources en eau. Mais il existe des moyens de réduire les déperditions, d’améliorer la gestion de l’eau ou de réduire la demande. Hélas, constate le rapport onusien, les réformes entreprises n’ont guère eu de succès jusqu’ici car elles restent trop souvent cantonnées au seul domaine de l’eau. Si l’on veut être efficace dans ce domaine, il faut prendre également en compte les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, du commerce et de la finance, car ils ont tous un impact déterminant sur la gestion de l’eau.
Insuffisance de l’accès à l’eau et à l’assainissement
Le rapport rappelle d’abord les données que toutes les publications ne cessent de répéter depuis le tournant du siècle, à savoir que l’accès aux services de base liés à l’eau (eau potable, assainissement et production alimentaire) est absolument insuffisant pour une large part du monde en développement. Même si globalement la couverture des besoins domestiques en eau potable paraît devoir s’améliorer, c’est loin d’être le cas tout particulièrement en Afrique sub-saharienne. S’agissant des équipements sanitaires, on estime que dans 20 ans plus de cinq milliards de personnes (les 2/3 de la population mondiale) ne disposeront pas d’un accès à des installations décentes. Avec les conséquences que cela impliquera pour la santé quand on sait qu’actuellement 80% des maladies sont liées à l’eau et qu’elles causent la mort prématurée de trois millions de personnes chaque année, dont une majorité d’enfants.
Pressions en hausse sur la demande
En un demi-siècle, les prélèvements d’eau douce ont triplé et les surfaces irriguées ont été multipliées par deux, à cause surtout de la croissance démographique. Chaque année, la demande supplémentaire en eau représente quelque 60 milliards de mètres cubes et touche parfois des pays où l’accès à l’eau est déjà restreint.
L’agriculture demeure le secteur le plus gourmand en eau puisqu’il représente à lui seul les deux tiers des prélèvements. Si rien n’est fait pour rationnaliser les usages de cette ressource dans le secteur agricole, sa demande ne cessera d’augmenter.
À noter aussi que des changements dans les comportements alimentaires : la demande en viande et en produits laitiers augmente rapidement dans des pays qui jusqu’ici en faisaient une relativement faible consommation. La demande hydrique n’en est que plus forte puisque la production de viande nécessite 3 à 4 fois plus d’eau que les cultures céréalières.
Quant à la production de biocarburants, qui s’est accrue ces dernières années, elle pèse également sur la ressource puisqu’il faut quelque 1’000 à 4’000 litres d’eau pour produire un litre de carburant dit vert.
Les effets du changement climatique
Les météorologues prédisent un réchauffement planétaire induisant une intensification et une accélération du cycle hydrologique, ce qui pourrait se traduire par une augmentation des niveaux d’évaporation et des précipitations. On devrait s’attendre aussi à des répercussions sur la qualité de l’eau et sur la fréquence accrue de phénomènes comme les sécheresses ou les inondations.
Par ailleurs, la pénurie que connaîtront certaines régions arides et semi-arides aura un impact décisif sur les migrations. On estime que des dizaines voire des centaines de millions de personnes pourraient être forcées de quitter leurs lieux de vie pour des raisons liées à la pénurie d’eau.
Investir dans le secteur de l’eau
Les auteurs du rapport sont d’avis que les investissements faits dans le secteur de l’eau constitueront à l’avenir un des éléments clés du développement économique et social. Investir dans l’eau, disent-ils, se révèle rentable à différents points de vue alors que le manque d’investissements peut gravement affecter le niveau de vie des populations. Selon certaines études, chaque dollar investi pour améliorer l’accès à l’eau se traduirait par des gains variant de 3 à 34 dollars.
L’investissement dans les infrastructures d’adduction d’eau et d’assainissement est également rentable pour l’environnement : aujourd’hui, plus de 80% des eaux usées dans les pays en développement sont rejetées sans subir aucun traitement. Compte tenu des impacts positifs qu’engendreraient les investissements dans les infrastructures liées à l’eau, le pourcentage du budget consacré par les gouvernements et l’aide publique à ces domaines paraît totalement inadéquat. Qui plus est, l’aide publique au développement allouée au domaine de l’eau est en diminution et ne représente que quelques petits 5 % à peine du flux total de l’aide.
Lutter contre la corruption
Dans certains pays, près d’un tiers des budgets consacrés à l’eau seraient détournés de leur affectation initiale. Les formes de corruption les plus répandues se traduisent par des falsifications des volumes de consommation, du favoritisme dans les commandes d’équipement et du népotisme dans l’attribution des marchés publics. Ces pratiques sont hélas trop peu combattues et les investisseurs comme les organismes d’aide au développement préfèrent se concentrer sur des pays moins exposés.
Mieux gérer l’eau
Le rapport propose des exemples concrets de pays qui, selon les experts, ont déjà commencé à intégrer leur stratégie de gestion des ressources en eau à leur plan de développement. Sont ainsi cités la Zambie, la Turquie pour son projet d’Anatolie du Sud-Est, l’Australie pour ses mesures de restrictions, les pays d’Afrique du Nord et du Proche et Moyen-Orient pour leur lutte contre les déperditions d’eau, le recyclage des eaux usées à des fins agricoles ou encore les projets de désalinisation de l’eau de mer. (Source : Unesco/WWAP)