DOSSIER. Au printemps 1818, dans le Haut-Val de Bagnes (Valais), le cours de la Dranse est entravé par des avalanches de glace et de neige provenant d’un glacier latéral suspendu, le Giétro. Un immense cône de glace provoque en amont la formation d’un lac long de 3,5 km et profond de 60 mètres. Conscient des dangers, l’ingénieur cantonal Ignaz Venetz fait creuser de toute urgence dans cette barrière naturelle un tunnel qui aurait dû permettre dans le meilleur des cas d’évacuer une grande partie de l’eau dont le niveau ne cessait de monter. Mais le 16 juin, la barre glaciaire, peu à peu érodée, finit par céder et le lac se déverse brutalement dans la vallée jusqu’au confluent avec le Rhône à Martigny. 36 personnes perdent la vie dans cette catastrophe qui emporte des centaines d’habitations. [1]
Sous la loupe des sciences
Deux siècles plus tard, très précisément, un collectif d’institutions scientifiques a organisé dans la commune de Bagnes un rendez-vous de quatre journées (14-17 juin 2018) destinées à commémorer ce tragique événement, à mieux en comprendre les données naturelles et les impacts sociaux, et à faire le point sur les risques potentiels que présente l’évolution actuelle des glaciers. [2]
Emmanuel Reynard, professeur de géographie à l’Université de Lausanne et président du comité d’organisation du colloque scientifique, a pu souligner que cette "débâcle du Giétro", comme on l’appelle communément, est l’un des moments fondateurs de la glaciologie : "La catastrophe a permis la rencontre d’experts scientifiques des villes et d’observateurs de terrain des hautes vallées. De là est née la théorie glaciaire selon laquelle les glaciers, très dépendants du climat, étaient beaucoup plus grands par le passé et recouvraient une grande partie de la Suisse. Deux cents ans plus tard, ce colloque était l’occasion de rappeler les liens entre climat, glaciers et risques."
Le sujet des débâcles glaciaires reste d’une grande actualité : les éboulements dévastateurs survenus en août 2017 dans le Val Bregalia, dans le canton des Grisons, et qui ont emporté huit promeneurs, étaient dus à un processus complexe combinant la fonte du permafrost avec celle du glacier du Piz Cengalo. Les Valaisans se souviennent aussi qu’en 1965 l’effondrement d’une partie du glacier de l’Allalin sur le chantier du barrage de Mattmark avait provoqué la mort de 88 travailleurs.
Un rendez-vous en plusieurs étapes
Dans le Val de Bagnes, le colloque scientifique des 14-16 juin, en plus d’actualiser les connaissances sur cet événement, avait donc aussi pour ambition de l’éclairer par d’utiles comparaisons avec d’autres débâcles glaciaires ailleurs dans le monde - en France, au Népal ou au Pérou - et d’ouvrir le débat sur des thématiques qui leur sont liées comme les impacts des changements climatiques ou la protection contre les risques naturels. Non seulement cette promesse a été tenue, mais des intervenants issus de disciplines différentes ont pu tour à tour partager leurs expériences, confronter leurs points de vue et enrichir un nécessaire dialogue entre sciences naturelles et physiques et sciences humaines et sociales. Ce colloque, dira Emmanuel Reynard, aura en tout cas montré que "les préoccupations d’il y a deux siècles sont plus ou moins les mêmes que celles d’aujourd’hui."
Le 16 juin, 200 ans jour pour jour après la débâcle, pour ne pas dire heure pour heure, c’est toute la population du Val de Bagnes qui était conviée à une célébration du souvenir [3] sur le barrage de Mauvoisin construit il y a une soixantaine d’années à quelques enjambées seulement de l’endroit où en 1818 le fatal cône de glace avait retenu les eaux de la Dranse avant de s’effondrer. La mémoire de la tragédie a également été ravivée dans une exposition temporaire montée par le Musée de Bagnes où l’on réalise à quel point le présent conditionne notre façon de parler des événements passés et de les interpréter. Autre point fort de cette journée : la projection, en avant-première, du film docu-fiction « 1818 » réalisé par Christian Berrut et Michaël Rouzeau qui ont fait le choix "de transmettre les faits réels et documentés, mais aussi de vivre l’aventure de l’intérieur et de ressentir l’époque".
La quatrième journée, ouverte à tout public, était une invitation aux découvertes de terrain. Grâce à un bal de navettes et le long d’un itinéraire de randonnée pédestre ponctué de cinq postes d’information animés par des scientifiques, il était possible à tout un chacun de mieux comprendre les phénomènes liés à la débâcle du Giétro et d’en visualiser l’une ou l’autre trace, sans oublier de passer par le village de Lourtier et sa Maison des Glaciers, jadis habitée par Jean-Pierre Perraudin, précurseur local de la théorie glaciaire.
Dossier rédigé par
Bernard Weissbrodt