Jusqu’en 2003, l’assainissement, balbutiant, pouvait se résumer à quelques mesures de salubrité et d’hygiène. Aujourd’hui, il présente des contours plus précis. Il vise principalement à garantir la qualité de vie des citoyens et préserver leur santé, à protéger la qualité de la ressource en eau et celle des milieux aquatiques, à limiter les risques d’inondation, et à préserver l’intégrité des ouvrages d’assainissement et en faciliter l’exploitation.
Après avoir recueilli les avis de personnes d’origines et de professions diverses, mais toutes bien averties de la thématique, et me forger ainsi une opinion personnelle, j’en déduis d’une part que l’assainissement est aujourd’hui une vraie réalité au Bénin et que l’on peut y constater d’appréciables efforts. Mais aussi, d’autre part, que des lacunes coupables persistent. Ce qui fait dire aux esprits les plus critiques que les efforts en matière d’assainissement s’évaporent comme « une goutte d’eau sur la pierre chaude ».
Ce ne sont pas les initiatives qui manquent
Dans plusieurs villes du Bénin, il existe des structures de pré-collecte et de collecte des déchets. A Porto-Novo, la capitale politique, il en existe plus d’une cinquantaine, m’a confié Henri, responsable de la collecte des déchets au sein de l’Association Ville Propre (AVP).
A Cotonou, la capitale économique, et à Djougou, cité commerciale du nord-ouest, j’ai pu visiter quelques points de regroupements puis la décharge finale. Les eaux pluviales sont drainées hors des villes par des collecteurs. À Djougou, sise sur un plateau, le drainage est chose relativement aisée. À Cotonou en revanche, vu que l’agglomération se trouve en dessous du niveau de la mer, cela nécessite beaucoup plus d’efforts et de moyens financiers. Les deux villes ont en commun de bénéficier d’un partenariat fructueux avec deux communes de France qui leur apportent appuis techniques et matériels.
Le Ministère de l’environnement et de la protection de la nature paraît avoir pris de bonnes décisions en faveur de l’assainissement : une police environnementale a été formée et déployée sur le terrain pour informer la population sur les bonnes pratiques et pour réprimer les contrevenants aux lois et règlements en vigueur. Une journée mensuelle pour un environnement sain a également été instituée : chaque dernier samedi du mois (en matinée) est mis à profit pour nettoyer les quartiers de ville et les lieux publics. Enfin une prime récompense le quartier le plus propre à la fin de l’année.
Plusieurs ONG s’impliquent aussi en faveur de l’assainissement et dans la gestion des déchets solides (recyclage et réutilisation). C’est le cas, en plus de AVP, du « Centre Songhaï », de « Qui dit mieux ? » et de « DCAM-Bethesda » (développement communautaire et assainissement du milieu). Une autre, plus récente, parrainée par un ressortissant indo-pakistanais, récupère de la ferraille (épaves de véhicule, de matériel électroménager, etc.) en vue de son exportation vers l’Inde. Toutes méritent le détour pour quiconque veut en savoir davantage sur la problématique des déchets.
Le temps presse, les sous font défaut
Il ressort de tout cela qu’au Bénin, en matière d’assainissement, les efforts d’information, d’éducation, de communication et de mise en pratique sont concrets et palpables. Il faudrait les poursuivre, voire les étendre à tout le pays. Mais l’assainissement, c’est aussi une affaire de gros sous, de moyens matériels et humains. Le temps presse : répondre aux besoins des populations en constante et forte croissance, et qui génèrent beaucoup de déchets, est une véritable course contre la montre.
Si l’on en croit Henri, de AVP à Porto-Novo, « les déchets, c’est incroyable : plus on les enlève, plus il en arrive ; c’est comme si on voulait remplir d’eau un panier en raphia ». Dans cette bataille contre les déchets, et compte tenu des moyens dont disposent les communes, c’est quasiment l’impasse. « Même les pays occidentaux y perdent des plumes » me dit Issakou, directeur des infrastructures à la mairie de Djougou, faisant allusion à la crise des ordures à Naples, en Italie. En matière d’assainissement, les collectivités locales montrent leurs limites.
Une longue liste de lacunes
Envers les autorités en charge de l’assainissement, les citoyens ont la dent dure et multiplient les reproches :
– d’abord une absence de tri des déchets à la source et de traitement final sur les décharges, ce qui fait dire aux railleurs qu’au Bénin « on ne fait que déplacer les déchets »
– seul un pourcentage négligeable de la population est abonnée à la pré-collecte : la part des déchets enlevés est infime, des bacs à ordures, pleins à craquer, sont abandonnés à l’air libre pendant des jours, voire des mois, avant d’être évacués
– tout le monde assiste, impuissant et indifférent, à de multiples pratiques d’incivisme, dépôts sauvages et destruction d’infrastructures d’assainissement
- aucune solution n’a été trouvée pour les eaux usées des ménages qui viennent gonfler les eaux pluviales, lesquelles, ainsi chargées de pollutions, se déversent sans traitement dans les milieux aquatiques
– les abords des cours d’eau et des lacs ne sont pas protégés contre l’intrusion des eaux pluviales ; on y rencontre souvent des automobilistes lavant leurs véhicules en toute quiétude
- la lagune de Cotonou s’est transformée en égout à ciel ouvert et l’Océan Atlantique en réceptacle des eaux usées industrielles ; le Zounvi, exutoire naturel d’eaux pluviales, est en train d’être comblé par des déchets de toutes sortes
– pendant l’hivernage, dès le mois de mai, Cotonou et d’autres villes côtières connaissent des inondations catastrophiques qui ont pour corollaires des déplacements de populations, l’explosion des épidémies de paludisme, de choléra et de fièvre typhoïde.
– toutes les voies de communication ou presque deviennent impraticables à la circulation : Cotonou (dont le nom, en fongbé, signifie ville en bordure de l’océan) devient par dérision « Cototrou » (allusion aux nombreux nids de poule dans la chaussée) et dans le quartier d’Akpakpa, la grande place dédiée au révolutionnaire russe est rebaptisée « Lac Lénine ».
Le tableau n’est guère reluisant. Il donne raison à ceux qui comme Alphonse, archiviste de son état, pensent que les efforts d’assainissement reviennent à verser de l’eau sur les plumes du canard. Jusqu’ici, rien n’est encore fait. Ou si peu.
Textes et photos : Bernard Capo-Chichi