SANS EAU, PAS D’AVENIR
Malgré son âge et sa fatigue, Nelson Mandela n’a rien perdu de sa vitalité intérieure ni de son humour. Il l’a prouvé, chez lui à Johannesburg, lors de la cérémonie d’ouverture du Waterdome, une immense bulle où se présentent quelque 70 organismes publics et privés travaillant dans le secteur de l’eau. Nelson Mandela se dit personnellement concerné par la crise de l’eau. L’accès à l’eau est un droit humain fondamental, dit le plus célèbre des Sud-Africains, il doit figurer "dans les priorités de l’agenda politique et social" et devenir "l’un des secteurs-clés de la coopération au développement".
L’ONU, dans sa fameuse Déclaration du Millénaire, avait chiffré cette priorité, s’engageant à réduire de moitié, d’ici à 2015, la part de la population mondiale n’ayant pas accès à l’eau potable. Dans ce domaine, c’est la référence de base des actions que pourrait décider le Sommet.
Ce point est définitivement acquis, nous dit Katharina Kummer, membre de la délégation suisse. Le document provisoire comprend une petite vingtaine de paragraphes et sous-paragraphes que personne ne conteste. Sauf une seconde proposition elle aussi chiffrée et datée.
L’eau, mais aussi les services
Le projet de texte demande en effet qu’on applique le même raisonnement en faveur des populations qui n’ont pas accès à des services d’assainissement adéquats et avance la même date-butoir de 2015 et la même réduction de 50%. Le débat reste ouvert.
La Suisse, comme les autres pays européens, soutient cette idée par souci de cohérence : "ces deux domaines, l’accès à l’eau et aux installations sanitaires, sont liés, il faut les considérer comme faisant partie du même objectif", explique Katharina Kummer.
L’opposition vient d’une alliance assez particulière entre les pays du Sud regroupés dans le G77 et les États-Unis. Les premiers estiment que la proposition n’est pas réaliste, les seconds veulent absolument s’en tenir à l’engagement pris par l’ONU il y a deux ans.
Engagements à tous niveaux
Pour l’essentiel, l’inventaire des actions concrètes que propose Johannesburg correspond aux engagements que la Suisse a déjà pris, chez elles ou dans ses activités de coopération, en faveur d’une utilisation durable des ressources d’eau douce et de l’amélioration de l’alimentation en eau.
Sa politique en la matière porte plus particulièrement sur des domaines comme la protection des écosystèmes, la gestion des bassins versants, la coordination régionale, la participation des populations ou encore l’application de technologies adaptées.
(mercredi 28 août 2002)
Rencontre avec Pierre Kohler, ministre cantonal jurassien, membre de la délégation suisse
DES SOURCES PROPRES POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES
Quand on parle d’eau, Pierre Kohler a beaucoup à dire. Dans son Jura natal, le ministre cantonal de l’environnement a dû résoude un gros problème d’assainissement d’eau. A Johannesburg, il est le porte-voix des cantons au sein de la délégation suisse.
- Pierre Kohler, à quoi pensez-vous d’emblée si je vous dis le mot "eau" ?
“Je sursaute car il y a beaucoup de discours et malheureusement très peu de réalisations. Un tiers de l’humanité n’a pas accès à l’eau potable, je trouve cela tout simplement scandaleux.
Ensuite, je pense que l’eau est un bien de l’humanité, elle ne doit pas appartenir à des sociétés privées, c’est une tâche essentielle des Etats de la conserver dans des mains publiques et de la gérer.
Enfin, il faut que les pays industrialisés veillent à ce que leurs actions n’aient pas de conséquences négatives à long terme sur les sources et sur les nappes phréatiques.”
- Dans le Jura, à ce propos, vous avez eu fort à faire…
“Oui, il y a de magnifiques étangs à Bonfol, mais à quelques pas de là il y a aussi une décharge de 115’000 tonnes de déchets chimiqueé qui à long terme risquent de polluer les sources.
Cette décharge fera l’objet d’un assainissement ces prochaines années, le gouvernement jurassien et l’industrie chimique bâloise ont trouvé un accord, c’est une action de développement durable.”
- Mercredi soir, Nelson Mandela disait ici que l’accès à l’eau est un droit de l’homme. Apparemment vous partagez son avis…
“Mandela a raison et les droits de l’homme doivent être défendus par les Etats. Malheureusement, même ici à Johannesburg on n’arrive pas à trouver d’accord à cause notamment de l’opposition des Etats-Unis.
C’est inacceptable car les droits de l’homme ne doivent pas être à deux vitesses. Tout le monde doit avoir accès à l’eau le plus rapidement possible.
On en connaît d’ailleurs le coût, 120 milliards d’euros par année, c’est tout à fait dans les capacités des Etats industrialisés de faire ce genre d’effort.”
- Qu’avez-vous dejà appris ici à Johannesburg ?
“Que les chefs d’Etat ici ne sont peut être pas toujours en connection directe avec leur base, et quand ils rentrent chez eux, l’action politique en faveur des populations ne suit pas.
Rio a été le sommet de la Terre, j’espère que Johannesburg sera le sommet du terrain.”
(mercredi 28 août 2002)
Rencontre avec Philippe Roch, Directeur de l’Office fédéral suisse de l’environnement
TROIS QUESTIONS AUTOUR DE L’EAU
On disait que l’eau serait l’un des grands sujets du Sommet. Johannesburg lui a en tout cas a offert un bel espace dans son "Waterdome". Sur ce thème, Philippe Roch, directeur de l’Office fédéral suisse de l’environnement, des forêts et du paysage, membre de la délégation suisse.
- Philippe Roch, dans ce "Waterdome", vous avez co-organisé une table ronde où il était question d’écosystèmes…
“Oui, parce que la Suisse a l’ambition de développer un partenariat international pour la protection de ces écosystèmes.
Quand on parle d’accès à l’eau, mon souci à moi, environnementaliste, c’est qu’il y ait de l’eau dans les tuyaux et au bout du robinet.
Mais si on continue de déboiser, d’assécher les marais, de pratiquer une agriculture intensive qui détruit les sols, il n’y aura plus d’eau propre, il n’y aura que des inondations et des sécheresses.
Les écosystèmes et les forêts ne joueront plus leur rôle d’éponge en retenant l’eau après la pluie et en la redistribuant lentement. C’est un phénomène fondamental qui assure l’approvisionnement en eau à long terme.
Sur le plan international pourtant on néglige cette fonction primaire des forêts, des zones humides et des marais. Mon action vise à faire le lien entre la conservation de ces écosystèmes et la gestion de l’eau jusqu’à sa distribution aux populations.”
- Le Sommet a finalement accepté de diminuer de moitié d’ici 2015 le nombre de personnes qui n’ont pas l’accès à l’eau et à des infrastructures d’assainissement…
“C’est un bel objectif, mais si l’on veut maintenir cette ambition à long terme, il faut également penser aux forêts.
Prenez le cas d’une entreprise privée qui contribue à l’assainissement d’une région et la distribution de l’eau. Si c’est une vraie contribution économique à la solution du problème, tant mieux.
Mais il faut que cette entreprise prenne aussi en charge les frais de conservation durable des forêts et des zones humides. C’est toute cette chaîne qu’il faut réaliser.”
- Et, dans la foulée, que penser de la privatisation de l’eau en Suisse ?
“Que Coca Cola rachète Walser me fait mal au cœur, mais je n’ai rien contre la privatisation si elle se réalise dans un cadre qui respecte le devoir de payer la ressource elle-même et de mettre sur le marché un produit de qualité et d’un prix raisonnable.
L’État doit garantir que le mécanisme de l’économie privée ne conduise pas à des accaparements. Avec l’eau, c’est inadmissible. L’économie a ici un devoir de contribuer à une gestion et une distribution de l’eau qui respecte le droit fondamental des gens de bénéficier de cette ressource naturelle.
Une entreprise privée peut très bien contribuer à une gestion sociale de l’eau, mais elle doit assumer toute la responsabilité de la gestion de l’eau et pas seulement prendre les bénéfices au robinet !”
(mardi 3 septembre 2002)
Textes et photos Bernard Weissbrodt