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26 novembre 2005.

Fernand Cuche : « Je suis de la génération qui a appris à apprécier l’eau »

Principaux extraits de l’intervention de Fernand Cuche, (...)

Principaux extraits de l’intervention de Fernand Cuche, Conseiller d’État neuchâtelois en charge du Département de la gestion du territoire, lors de la séance inaugurale publique de l’Association suisse pour le contrat mondial de l’eau (Carouge, 26 novembre 2005).

Lorsque j’étais enfant j’habitais dans une ferme du Jura neuchâtelois qui n’était pas reliée à un réseau d’eau, la citerne jouait un rôle majeur dans la conduite de l’exploitation agricole. Au même titre que le petit troupeau de vaches laitières, la citerne était parmi les richesses de l’exploitation. Je me souviens aussi que ma mère, lorsqu’elle lavait les légumes pour les repas quotidiens ou pour les conserves, récupérait l’eau qui coulait sous l’évier pour aller arroser le jardin ou la donner aux cochons avec les céréales et la potion nécessaire pour qu’ils se développent… Cela pour dire que je suis de la génération qui a appris à apprécier l’eau, à la considérer comme une richesse qui s’inscrivait dans la durabilité de l’exploitation et dans la durabilité de celles et ceux qui travaillaient sur ses terres.

Au cours de ces dernières années, les organisations membres de Via Campesina ont développé le principe de la souveraineté alimentaire qui veut que les peuples doivent rester libres de décider de la qualité de leur alimentation, du développement rural, du développement forestier. C’est dans ce concept-là que nous voulons inscrire l’accès à l’eau qui va de pair avec l’accès à la terre, à la formation, à la vulgarisation, à des investissements réguliers, et utiliser ces données fondamentales de la vie de façon parcimonieuse, sans oublier l’efficacité. En fonction de la disponibilité de l’eau, nous devons revenir à des concepts de proximité, à des concepts plus sages de durabilité, et redéfinir la mission essentielle de l’agriculture qui consiste à utiliser le sol pour ravitailler la population de proximité.

Il y a ces dernières années une tendance qui ne faiblit pas d’une course effrénée au profit, que je qualifierais de maladie contagieuse internationale : la toxico-dépendance par rapport au profit. Lorsque les multinationales ont fait le tour de tous les produits qu’elle pouvaient vendre un peu partout, on les a vu s’intéresser à des valeurs, à des richesses qui appartiennent au patrimoine de l’humanité : la terre, les forêts, les semences et en particulier l’eau… Il faut dénoncer le fait que petit à petit ces multinationales de par leurs capacités de communication essaient de nous faire croire que c’est un passage inévitable, qu’il n’y a pas d’alternative ni d’autre possibilité d’organiser la société que de passer par l’appropriation ou la privatisation.

Nous, les élus, nous devons récupérer des droits perdus par rapport à l’économie. Je suis stupéfait de voir à quel point les acteurs de l’économie se substituent aux décideurs politiques, en matière par exemple de promotion économique... Il y a une espèce de dérive de la répartition du pouvoir et je crois qu’à tous les échelons nous devons nous réapproprier les pouvoirs que des électeurs nous ont confiés… Réaffirmer aussi en tant qu’élu qu’on ne saurait accepter que le marché devienne le principal organisateur de nos sociétés. L’accès à la nourriture, à l’eau, au logement, à la formation, constituent les missions essentielles d’un État.

Ces dernières années, face à la dérive ou l’accaparement du pouvoir par les acteurs économiques – une espèce de « déculottée des institutions politiques en place » - nous voyons une réaction logique, humaine, sage, de la part de la société : ce sont tous ces mouvements citoyens, toutes ces actions de la société civile, concernant l’OMC ou la souveraineté alimentaire, ou ces mouvements citoyens pour un contrat mondial de l’eau. Les élus que nous sommes devons prendre de plus en plus en considération le signal politique de ces mouvements.

Le canton de Neuchâtel devra réviser sa loi sur les eaux et cette révision m’incombe puisque j’ai la responsabilité du territoire au sein du collège gouvernemental. J’ai déjà dit à mes services que, en tête de la loi révisée, je veux voir figurer que l’eau est un bien public et que l’eau doit être gérée par les collectivités publiques.

Ces derniers mois, pour lutter contre l’application commerciale des organismes génétiquement modifiés, des communes se sont déclarées « libres d’OGM ». Je trouverais bien, concernant l’eau, que des collectivités publiques, à l’entrée de la ville ou du village, puissent très clairement signifier que leur population ne veut pas d’une privatisation de l’eau. La formule est trop longue, mais quelqu’un trouvera bien la formule-choc.

Propos notés par Bernard Weissbrodt




Infos complémentaires

:: ACME-Suisse

L’Association suisse pour un contrat mondial de l’eau
a pour but de soutenir et promouvoir, entre autres :

 la reconnaissance juridique explicite du droit inaliénable de toute personne à l’eau et à l’assainissement,
 la reconnaissance du statut de l’eau comme chose publique universelle,
 l’adoption de cadres juridiques consacrant la propriété publique de l’eau et sa non privatisation,
 la compétence exclusive des collectivités et des institutions publiques en matière de gestion et de financement des services de l’eau et de l’assainissement,
 le recours aux processus démocratiques pour toutes les décisions touchant au domaine de l’eau.

:: Liens

Site de l’Association suisse pour le Contrat mondial de l’eau (ACME-Suisse)

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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