À force de parler de réchauffement climatique, on avait presque oublié que l’eau pouvait encore se métamorphoser en glace. Profitant des hésitations de l’hiver, un tonique courant d’air sibérien s’est soudain déchaîné, nous rafraîchissant la mémoire en même temps que les épidermes. Arrêt sur glaçons. Avant que le redoux ne les soustraie à nos regards transis.
À première vue, ça semble facile à comprendre. Il suffit que la température descende en dessous du zéro degré pour que l’eau liquide passe à l’état solide et se transforme en glace. Pourtant les scientifiques vous expliqueront que ce phénomène n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.
Qu’en matière de glace il faut distinguer le minéral, sous forme de cristaux, et la roche résultant de l’assemblage des cristaux et quasi imperméable à l’eau. Que le minéral est l’un de ceux que l’on rencontre le plus fréquemment dans le système solaire. Et que la roche peut prendre des formes différentes et irrégulières en fonction de son origine et des déformations qu’elle subit.
Les impacts des phénomènes liés à la glace sont, comme pour l’eau liquide, de nature ambivalente, tantôt bénéfiques tantôt nuisibles, faisant la joie des uns, patineurs et hockeyeurs, et le désespoir des autres, piétons et automobilistes. Mais causant aussi d’énormes soucis aux services d’approvisionnement en eau des collectivités et des industries : obstruction des prises, ruptures de canalisation et autres ennuis du même acabit.
La nature, elle, prend acte des embâcles et débâcles. La formation de glace dans les rivières et les fleuves peut freiner leur écoulement, jusqu’à faire barrage parfois, provoquant des dégâts aux installations placées au fil de l’eau. Idem lors du dégel, quand ces plaques de glace se mettent à dériver rapidement, emportées par de violents courants.
On n’oubliera pas non plus que cette alternance du gel et du dégel constitue, en régions de montagnes, un gros facteur d’érosion. L’eau s’infiltre dans les pores et les fissures des roches et lorsqu’elle gèle, elle augmente de volume et les fait littéralement exploser en multiples morceaux. Lesquels, au fil du temps, iront alimenter éboulis et pierriers.
Cela dit, me revient ici le vague souvenir d’un roman, “Le ministère du gel”, où Serge Combard imaginait une expérience d’éternité provisoire très officiellement organisée dans les moindres détails, comme on sait le faire dans les administrations pointilleuses, et sensée procurer à toute une famille l’immortalité par congélation, ainsi que la renommée qui va de pair. Tout avait été minutieusement prévu, hormis la résistance d’un vieil écrivain follement épris des bonnes choses et des meilleurs moments de la vie.
Balzac, dans “Séraphita”, évoque quant à lui "les glaces de l’âge" qu’annoncent au fil des ans la lourdeur et la lenteur accentuées de nos gestes et de nos pas. C’est vrai que les perspectives du grand âge peuvent effrayer. Ce ne doit pas être très difficile en effet de se laisser engourdir comme sur une banquise par les gelures de l’indifférence et des sentiments. Les duretés du cœur et l’insensibilité aux émotions sont davantage à redouter et peut-être plus douloureuses à supporter que les pires paralysies. Quand on compare le temps qui reste avec celui dont on s’éloigne inexorablement, on se doit de choisir : rester de glace ou la rompre.
Mais pourquoi craindre les débâcles et en avoir fait des mots de défaites ? Ne signifient-elles pas le redoux et l’imminence du printemps ? Ne faudrait-il pas plutôt avoir peur des embâcles avant qu’elles ne freinent ou ne figent le goût de vivre ?
Bernard Weissbrodt